Bonjour Paul Vacca et merci de vous prêter au jeu des questions/réponses.
La petite cloche au son grêle est votre premier roman, mais vous avez déjà écrit plusieurs scénarios. Cette expérience fut-elle un déclencheur de votre envie d'écrire des romans ou bien était-elle déjà présente ? Comment compareriez-vous l'une Paul Vacca et l'autre manière d'écrire ? L'une facilite-t-elle l'autre ?

Ce sont des types d’écritures très différentes. Le scénario est une écriture à contraintes : temps, personnages, budget, sujet, format etc. Où l’on est très attentif à la structure organique du récit puisque la finalité d’un scénario est de fonctionner à l’écran. L’écrit s’efface à l’écran. Pour le roman, c’est l’inverse : une totale liberté. Ou, plus exactement, c’est l’auteur qui s’impose - ou le livre lui-même qui impose - ses propres contraintes. Tout devient question de choix : le sujet, le style évidemment, le choix du point de vue, la nature du récit et même la longueur du livre, son rythme, son découpage etc.
Le passage du scénario au roman – et vice versa - contrairement à ce que l’on peut croire n’est pas si naturel que cela. Ceux qui ont travaillé sur des adaptations le savent : ce sont deux mondes différents. Pour mener de front, une carrière de scénariste et de romancier, il convient à mon avis d’être un peu schizophrène : oublier qu’on est scénariste lorsque qu’on écrit un roman et oublier qu’on est romancier lorsque l’on s’attaque à un scénario.
Personnellement, j’aime cette schizophrénie (rires) ! D’autant qu’il s’agit d’approches éminemment complémentaires  : le scénario est un travail collectif dans lequel interviennent les réalisateurs, les producteurs, les diffuseurs, les acteurs… Alors qu’écrire un roman, c’est se retrouver le plus souvent seul face à ses choix. Une liberté jouissive mais qui peut parfois donner le vertige.

Votre premier roman est un hommage à la littérature et aux lecteurs. Pourquoi ce choix ? Et quel lecteur êtes-vous vous-même ?

Je voulais écrire un roman qui parle de la magie du livre, faire le pont entre la lecture et l’écriture qui sont les deux faces d’une même médaille. Je voulais montrer que la lecture n’est pas affaire de culture, ni même de compréhension – c’est pour ça que je voulais confronter un enfant de 13 ans à Proust -, mais de communion. Communion avec la voix d’un auteur évidemment, communion avec des personnages imaginaires, communion avec d’autres lecteurs. Et communion avec le monde. Car la lecture est tout sauf une pratique passive et individuelle. Il s’agit d’un acte créatif et collectif. C’est ce que j’ai voulu mettre en scène dans le roman. D’où cette tonalité de conte où le volume de Du côté de chez Swann trouvé par le narrateur va jouer le rôle de talisman en transformant la vie des êtres.
En tant que lecteur, je ne suis pas ce que l’on pourrait appeler un grand lecteur – et les capacités de lecture des blogueurs me donnent à ce sujet de sérieux complexes ! J’aime lire en toute liberté, sans me fixer de contraintes – lire tout d’un auteur, fixer des listes, lire la rentrée littéraire, rester dans un genre etc. Je me laisse guider par l’envie suivant le principe marabout-bout de ficelle car chaque livre porte en lui l’étincelle d’autres livres… J’essaie aussi – si possible - d’éviter les a priori. Du coup ma table de chevet ressemble à une micro bibliothèque de Babel où un essai côtoie un polar, un grand classique, un thriller en anglais, un roman historique en italien et même un best-seller descendu en flammes par la critique…

L’intrigue de ce roman se situe dans un bistrot du Nord de la France. Par les descriptions et les attitudes des personnages, on ressent à la fois une tendresse pour ce lieu, ce milieu ouvrier, masculin, et une défiance, avec l’image de cet enfant quittant la salle quand les clients arrivent et celle de sa maman, fatiguée de voir son mari autant travailler. Comment vous est venue l’idée d’installer ce décor comme cadre de l’intrigue ? Et quelle votre propre relation avec ce lieu que vous semblez bien connaître ?

Le décor de La petite cloche est purement fictionnel (comme tout le reste roman qui n’a rien d’autobiographique malgré le dispositif qui laisse penser le contraire). Je ne connais pas particulièrement la région du Nord, même si pour des raisons personnelles depuis l’écriture du roman, j’ai eu l’occasion de la découvrir. Je voulais que cela se passe dans le Nord, non par opportunisme – Bienvenue chez les Ch’tis n’était pas sorti ! – mais, parce que je ne souhaitais pas d’une région pittoresque (comme elle peut l’être chez Pagnol par exemple). Je préférais que la lumière et le pittoresque jaillissent des personnages et du livre découvert par le narrateur.
La topographie des lieux est me semble-t-il peu ou prou universelle. C’est celle que l’on retrouve dans chaque ville ou village quelle que soit sa taille avec ses différentes classes sociales. Là, c’est la Nationale qui joue ce rôle de frontière entre classe.
Quant à l’ambivalence, vous avez parfaitement raison. Elle est celle qui colore le regard de l’enfant en épousant à la fois le point de vue de son père – ancré dans les valeurs concrètes - et celui de sa mère – qui rêve d’un autre avenir pour son fils.

La petite cloche au son grêle a été sélectionné par de nombreux prix et festivals. Comment vit-on cette reconnaissance dès le premier roman ?

La petite cloche au son grêleComme un cadeau. C’est un plaisir de sentir que ce que l’on a écrit trouve un écho chez d’autres. Là encore c’est une sorte de communion qui s’instaure. Elle s’est d’abord faite avec les libraires qui ont soutenu avec passion et générosité le livre. J’ai eu l’occasion d’en rencontrer et c’est toujours un bonheur. Ce sont eux qui donnent vie au livre. Puis, il y a eu les blogueuses et les blogueurs - un monde passionné par la lecture que j’ai découvert à cette occasion - qui ont fait la fête au livre. Et enfin, la sélection dans des festivals et notamment ceux du Premier Roman. J’ai été sélectionné dans celui de Laval – où j’ai eu l’occasion de faire la connaissance de Fadéla Hebbadj que vous connaissez bien à Biblioblog - et dans celui de Chambéry et en janvier je me rendrai à Mouscron en Belgique. Ces festivals animés par des passionnés sont de vrais dons du ciel pour l’auteur d’un premier roman. On y est reçu avec beaucoup d’égards, on y fait des rencontres enrichissantes avec des lecteurs de tous âges – dont beaucoup collégiens et de lycéens. Et puis, on y croise d’autres primoromanciers avec qui l’on partage nos expériences et… des fous rires.

Quel est votre rapport aux lecteurs ? Avez-vous eu l'occasion de les rencontrer lors de signatures ou de salons ?

Avant, je dois avouer que je trouvais un brin flagorneurs les auteurs qui parlaient de leur expérience de rencontre avec les lecteurs avec les termes tels que « excitant », « unique », « magique »… Maintenant que j’ai vécu l’expérience, je leur emboîte le pas sans hésitation : c’est excitant, unique et magique !

Votre deuxième roman, Nueva Königsberg, est sorti moins d'un an après la parution de La petite cloche au son grêle. Était-ce un choix délibéré ?

En fait, Nueva Königsberg est sorti 14 mois après La petite cloche. Même si l’aventure de La petite cloche continue (par de nouvelles sélections dans des prix), il y avait l’envie de proposer autre chose. À ce titre, comme vous l’avez souligné dans votre recension, Nueva Königsberg est très différent du premier.

Et avez-vous en préparation un troisième roman ?

Oui sur plusieurs troisièmes même ! Lequel sera le troisième effectif ? Je ne le sais pas encore…

Est-ce que, comme certains romanciers, vous avez des rituels, des habitudes incontournables pour pouvoir écrire ?

Question… rituelle ! (rires) Je peux écrire à toute heure mais pas n’importe où. J’ai besoin de calme pour rédiger alors que le brouhaha d’une brasserie ou un voyage en train me stimulent pour prendre des notes ou faire émerger des idées… Sinon, je n’ai ni horaires fixes, ni grigri ni manie particulière. Euh… pas que je sache en tout cas…

Dans La petite cloche au son grêle, le narrateur s'adresse à sa mère, qui est celle pour qui il écrit. Nueva Königsberg comporte quelques lettres de Sébastien à Pauline. Aimez-vous particulièrement écrire « tu » ? Comment ce choix s'est-il imposé dans l'écriture de La petite cloche au son grêle ?

Non, ce n’est pas par amour du « tu » (rires) ni une démarche concertée. Le « tu » dans les deux livres résulte de deux approches différentes. Pour La petite cloche, ce choix s’est imposé à moi en cours d’écriture. J’ai commencé le livre à la troisième personne… Mais très vite j’ai senti que quelque chose clochait : c’était trop distant. Une telle histoire perdait de sa force à être décrite de l’extérieur et puis il ne pouvait pas y avoir l’effet de boucle final. C’est là que j’ai eu l’idée de passer à la seconde personne. Je voulais que le lecteur se retrouve dans la confidence entre un fils et sa mère ; je souhaitais créer cette connivence. En ce sens, La petite cloche est comme une longue lettre adressée à sa mère ; sauf qu’il s’agit du livre que le lecteur est en train de parcourir – le fruit de la promesse de l’enfant. D’ailleurs certains lecteurs m’ont dit que le tutoiement les avait gênés, alors que d’autres ont aimé la connivence qu’il générait.
Pour Nueva Königsberg, c’est très différent, il s’agit de lettres insérées dans le texte : c’était selon moi le meilleur moyen de faire vivre la déception amoureuse de Sébastien et son déracinement.

Les œuvres de Proust et de Kant (dans lesquels les personnages de vos deux romans évoluent) sont réputées difficiles d'accès ; de nombreux lecteurs ne les connaissent que de nom. Ne craigniez-vous pas que ces thèmes fissent fuir les lecteurs ?

Je sais que certaines personnes sont réfractaires à Proust. Elles ne savent pas ce qu’elles manquent ! Pour Kant, je peux plus comprendre (rires). Mais j’ai surtout voulu éviter dans les deux cas tout côté happy few. Peu importe que les gens ne connaissent ces deux icônes que par leur nom. C’est justement de ce postulat que je suis parti. Dans les deux cas, j’ai voulu jouer sur la connivence qui existe pour n’importe qui par rapport à ces auteurs : l’élitisme pour Proust et le côté hermétique et rigoriste pour Kant. La gageure pour moi était de faire deux romans accessibles en partant de deux auteurs pointus.

Qu'est-ce qui vous les a fait choisir ?

Pour La petite cloche, le choix de Proust répond à plusieurs critères : d’abord, cela m’amusait de plonger un auteur réputé élitiste et difficile dans un milieu populaire. À partir de là, cela aurait pu être James Joyce, Ezra Pound ou le Nabokov de Feu pâle. Mais Proust a quelque chose que ces auteurs n’ont pas : il est élitiste… et populaire. Car toute personne, même si elle ne l’a jamais lu, est capable de dire deux ou trois choses sur Proust et surtout d’expliquer pourquoi il n’aime pas (les longues phrases, le style)… Alors que pour les auteurs sus-cités, ce n’est pas évident. Ce paradoxe est fondateur du roman. Ensuite, parce que – contrairement à ce que l’on pense généralement – Proust n’est pas un auteur intellectuel mais un auteur sensuel. Je souhaitais créer une correspondance entre son univers habité par les fleurs, les odeurs, les sons, les parfums et l’univers du roman. Et enfin, et c’est la raison la plus importante car c’est lui qui a parlé du souvenir - qui a même « découvert » le souvenir involontaire - et de sa capacité à être plus fort que la mort. Je voulais que cette mystique du souvenir qui passe par l’écriture et la lecture irradie le livre. Pour Kant, je me serai bien passé de ce choix (rires). C’était une contrainte inhérente au sujet. C’est Jean-Baptiste Botul qui l’a choisi en prononçant les conférences de La vie sexuelle d’Emmanuel Kant… Si Nueva Königsberg avait abrité des adeptes de Kierkegaard, de Paolo Coelho ou de Bob l’Éponge cela aurait été la même chose !

En ce cas, pourquoi avoir choisi Jean-Baptiste Botul ?

C’est l’idée même de Nueva Königsberg, cette communauté dont on ne sait pratiquement rien, qui m’a séduit. J’ai souhaité remplir le vide par la fiction. Inventer ou réinventer un monde est un luxe qu’offre le récit. Alors je ne me suis pas gêné ! D’où la tonalité picaresque adoptée pour le roman à mille lieues de l’intimisme de La petite cloche.

Quel regard portez-vous sur la philosophie de Kant ? Lors de l'écriture de Nueva Königsberg, l'avez-vous considérée comme une fin ou comme un simple moyen ?

(Rires) Comme un moyen assurément.Nueva Königsberg Kant n’est pas le sujet du livre. Quel regard je porte sur Kant ? Un regard de myope (rires) ! J’ai étudié Kant mais je n’ai pratiquement rien retenu ! Je me suis d’ailleurs efforcé de tout oublier et de faire table rase de ce que je connaissais.
Ma problématique était plutôt d’ordre dramatique. Je me suis demandé comment décrire simplement - et si possible avec humour – une communauté qui aurait décidé de vivre dans son quotidien à la manière de Kant et suivant les préceptes kantiens. En me plongeant dans des ouvrages sur Kant – et surtout dans la Philosophie pour les Nuls que je recommande vivement ! – je me suis rendu compte que ce qui caractérisait sa philosophie c’était la synthèse permanente et le rejet de la passion jusqu’à l’obsession. Il y avait un côté systématique – même dans son rejet des systèmes - qui rappelle le fonctionnement d’une secte – d’ailleurs le livre peut se lire comme l’histoire d’une utopie ou d’une secte. Et Sébastien passe par les différentes étapes : il est d’abord profondément énervé par ce comportement synthétique qui a quelque chose de burlesque mais aussi de monstrueux… puis, subrepticement, et à son insu, il commence à comprendre et à en goûter le charme comme quelqu’un qui se laisse bercer par une secte où il est facile de se laisser porter par des certitudes. Surtout qu’il est en dépression et sort d’un chagrin d’amour. J’ai voulu aussi tisser un parallèle entre l’amour et la chose en soi kantienne : impossible à appréhender hors du temps et de l’espace et qui pourtant ne survit pas dans l’espace et le temps. J’ai voulu aussi parler de l’illusion – que Kant s’ingénie à chasser - à travers le cinéma qui exerce une fascination sur Sofia, de l’utopie… Des sujets que l’on peut qualifier de philosophiques mais que j’ai souhaité traiter à la façon d’un conte philosophique en évitant toute profondeur affichée. J’ai eu une ambition de légèreté pour ce roman. Il ne faut pas que je m’étonne que certains n’y voient que la légèreté de l’ambition (rires) !

Partagez-vous les goûts cinématographiques de Sébastien Marot (le jeune homme voyageant avec Botul dans Nueva Königsberg), en particulier pour la slapstick comedy (Laurel et Hardy, etc.) ?

La slapstick comedy est plutôt un défouloir pour Sébastien. Pour ma part, je ne passe pas mon temps à la cinémathèque pour revoir tous les slapsticks restaurés ! Je trouvais approprié de traduire l’aspect obsessionnel de la vie de Kant - son côté control freak comme on dirait aujourd’hui - à travers les mécanismes de la slapstick comedy dont le comique fonctionne sur le contrôle absolu et sa rupture (par exemple, la tarte à la crème qui frappe la personne qui veut contrôler son image de sérieux comme l’a très bien compris l’Entarteur Belge, Noël Godin)… Sinon, lorsque Sébastien raconte son histoire d’amour parisienne à Sofia c’est plus au mélodrame de Douglas Sirk que je pensais.

Vous mettez en exergue à Nueva Königsberg une parole de Botul « Le livre est un organisme vivant qui engendre son semblable — sous la forme de commentaires vivaces ou d'interprétations proliférantes. ». Assurément, ce roman répond à cette définition. La petite cloche au son grêle ranime aussi des personnages de Proust. Au sujet des livres comme organismes vivants, pensez-vous que le côtoiement de personnages de littérature est susceptible de leur donner autant de vie qu'à leurs homologues non-fictionnels ?

Comme vous l’avez remarqué, j’aime jouer sur les frontières entre la fiction et la réalité. Car je suis profondément convaincu que cette frontière n’existe pas ! C’est à travers les lunettes de la fiction que nous lisons la réalité. Car, comme l’ont souligné Umberto Eco et plus récemment Pierre Bayard, les personnages de fiction existent plus que les personnages de la vie dite réelle. Tout le monde connaît Ulysse, Harpagon ou Hamlet alors que l’on doute de plus en plus de l’existence d’Homère (un collectif d’aèdes ?), de Molière (Corneille aurait écrit les pièces de Molière) ou de Shakespeare. C’est d’ailleurs le discours de Paola dans La petite cloche lorsqu’elle prouve à Aldo qu’elle connaît mieux les personnages de la Recherche que lui ne connaît ses clients. Au-delà de la mauvaise foi qu’elle manifeste, il y a une part de vrai dans ce paradoxe.

Pourriez-vous dire, comme Oscar Wilde, que la mort d'Emma Bovary est un des événements les plus tragiques de votre vie ?

Il me semblait qu’Oscar Wilde avait dit cela à propos de la mort de Lucien de Rubempré dans Splendeurs et misères des courtisanes de Balzac… Peu importe. Je pourrais le dire maintenant à la suite de Philippe Doumenc qui a apporté toute la lumière sur la fin tragique d’Emma Bovary !

Merci Paul Vacca pour le temps que vous nous avez accordé et comme il est de tradition sur le site, nous vous laissons les derniers mots pour vos lecteurs et les visiteurs du Biblioblog.

Merci à vous de m’avoir invité sur votre blog. Un blog vivant, exigeant, ludique qui donne une envie communicative de lire et de partager ses lectures – et ses énigmes ! Félicitations à tous ceux qui l’animent quotidiennement. Quant aux visiteurs de Biblioblog je ne peux que les féliciter de leur choix et les engage vivement à faire connaître toute affaire cessante Biblioblog à leur entourage. Je souhaite à tous une belle rentrée pleine de lectures et de découvertes. Pour finir, un grand merci à tous ceux qui ont exprimé leur enthousiasme pour La petite cloche. Cela me va droit au cœur. Je me réjouis de vous rencontrer et d’échanger avec vous à la Librairie Les Buveurs d’Encre très prochainement.

Interview de Paul Vacca - août 2009 - Tous droits réservés Biblioblog

Romans ayant permis de préparer cette interview :