Avant même son départ, elle se demande si tout cela est une bonne idée. Pourquoi Jo tient-il tant à ce qu'elle vienne chez lui ? Qu'espère-t-il ? Pourquoi y aller alors que le témoignage du vieil homme ne lui servira pas réellement ? Et surtout, pourquoi s'imposer ce tête à tête de 10 jours, alors qu'elle ne supporte pas la vieillesse? Elle a bien essayé d'en parler à son entourage, mais personne ne semble entendre ses réticences. Bien au contraire, tous sont fascinés par les liens qui se sont crées entre elle et le vieux Jo.
Mais en arrivant à l'aéroport d'Auckland, la narratrice comprend que son séjour va être encore bien plus difficile que prévu. Non seulement Jo est un vieux loup solitaire, mais il est raciste, égoïste, radin, réactionnaire etc. Dès les premières heures, elle se sent oppressée et ne rêve que de rentrer chez elle.

Avec ce premier roman, Natascha Cucheval brosse un double portrait subtil et sensible. L'article indéfini du titre cache en réalité toute la palette des émotions humaines. Ces deux êtres que tout sépare vont apprendre à s'apprivoiser lentement (très lentement) et à passer au-delà des a-priori et des réticences. La narratrice va surtout apprendre à contrôler ses propres peurs et mieux se connaître elle-même. On dit que les voyages et les rencontres ne sont que des moyens pour se découvrir soi-même. À des milliers de kilomètres de chez elle, totalement isolée de son entourage, la narratrice ne peut faire semblant; elle doit affronter ses démons et tenter de comprendre.

Natasha Cucheval, avec une écriture très élégante et sans jamais épargner sa narratrice, met parfaitement en exergue toute l'ambiguïté de cette relation, entre rejet et sensualité, admiration et dégoût. En optant pour une focalisation interne, Natascha Cucheval offre à ses lecteurs les doutes, les colères internes et les souvenirs de son héroïne et le rythme assez lent participe à l'envoûtement et au charme de ce récit. Un premier roman profond et délicat sur nos relations aux autres.

Laurence

Extrait :

J'étais venue passer dix jours dans cette ville, et soudain ces dix jours me paraissaient une folie. J'aurais aimé me dissoudre, j'aurais aimé n'avoir rien promis. Je craignais que l'aventure ne tourne mal. Les jolis rêves valent-ils moins que les mauvais souvenirs ? Préférais-je le remords aux regrets? À ce moment précis, j'aurais répondu le remords sans hésiter. Et bien que j'aie une certaine tendresse pour Jo, je m'inquiétais... Si vous étiez accosté par un inconnu de votre âge à la terrasse d'un café parisien, si vous bavardiez une heure avec lui... Si la semaine suivante, un an plus tard même, vous le croisiez à nouveau, qu'il vous propose de venir dix jours chez lui, l'accepteriez vous ? Non. Vous attendriez d'en savoir plus, vous viendriez accompagnée, vous vous protégeriez... Jo avait soixante-dix-neuf ans à présent. Son âge me protégeait-il ? Au fond, je savais que non. «qu'a-t-elle à craindre d'un octogénaire ?» penseront certains. Jo n'étais pas un octogénaire, il était Jo Blackwell. Je ne savais rien de lui. Il avait dit que je ressemblais à Elisabteh, il pensait que nous étions voués à nous rencontrer. Il m'avait émue, il m'avait eue. J'accomplissais un voyage dont je n'avais jamais eu envie réellement.


Éditions Fayard -  200 pages