C'est l'histoire de Mathurin Dieutor Saint-Fort. C'est un jeune homme de trente ans qui connaît bien tous les ressort de la ville, celle des riches où la course pour l'argent, le pouvoir, le sexe et les intrigues en tout genre est effrénée. Il a tout fait pour oublier ses origines paysannes. Ses parents se sont mentis toute leur vie. Son père vivait une double vie et cela à causer la mort d'un enfant. Alors Mathurin a tout quitté. Son village, l'amitié, l'amour même du vieux Gédéon et celui d'Anne, celle qui lui disait tendrement : « Dieutor, mon Dieutor ».
Depuis, il « ne saigne jamais du coeur » et « a rompu depuis longtemps avec les douleurs affectives ».
Il préfère rester seul, sans attache aucune. Car « recevoir oblige à donner. » Et là, cela devient plus difficile.
Et ce crétin de Charlie, avec sa vie de chien et son histoire de fou, était venu ouvrir la porte du retour.
C'est l'histoire de Charlie et de ses partenaires, pensionnaires du Centre, l'orphelinat tenu par le Père Edmond. Ils ont quelques combines pour accumuler de l'argent pour plus tard, pour le jour de leurs seize ans. Juste ce qu'il faut pour le jour où le Père Edmond ne pourra plus les prendre en charge et qu'ils devront faire leur vie tous seuls, dehors. Ce sont peut être des enfants abandonnés mais ils ont les pieds sur terre et des principes bien solides.
Et puis, si tu ne peux pas voir tout près de toi celui qui est dans le besoin, comment tu comptes faire pour rencontrer les autres ? Moi, c'est simple. La générosité commence dans la proximité.
En espérant que Mathurin Dieutor l'aidera, Charlie va lui raconter sa vie et celle de ses amis. C'est un flot continuel, sans coupure avec ce langage si particulier que l'avocat a oublié. Quand Charlie parle rien ne peut l'arrêter.
C'est le contraste entre la ville et la campagne, les riches et les pauvres, des mondes si différents, aux principes et mentalités si éloignés.
Charlie, Nathanaël et les commères sont beaux à suivre dans leur projet de vie meilleure :
Un monde où tout va bien. Une étoile pour chaque vivant.
Ils sont tous en quête de leur étoile, celle qui va leur apporter le bonheur. Chacun la trouvera où il pourra. Les commères semblent l'avoir déjà trouvée. Charlie ne se pose pas tant de question. Son étoile viendra quand il sera temps.
Quant à Nathanaël, il a trouvé la sienne. Il la côtoie sans l'atteindre, alors il saute chaque fois plus haut. Il exagère pour l'impressionner
. Son étoile est une jeune et belle militante.
Et comme le dit Charlie : Je ne sais pas si elle fait bien son métier de militante, mais elle fait mal son métier d'étoile
.
Durant ma lecture, la chanson « La quête » de Jacques Brel n'a cessé de tourner dans ma tête. Impossible de la dissocier de l'histoire de Dieutor et de Charlie. Tous cherchent leur inaccessible étoile.
C'est à n'en pas douter encore une très belle histoire que nous offre Lyonel Trouillot dans son style si reconnaissable, fort, tranchant ou tendre et poétique quand il faut. On sort de cette lecture tout chose. Plein d'une tendresse triste pour ces gosses, Dieutor inclus, perdus, abandonnés. On ne peut que s'attacher à eux. C'est une histoire sur la désespérance, l'obligation de grandir vite, d'user de tous les moyens pour se sortir de la boue, le besoin, le prix à payer au passé. Une superbe histoire sur l'amitié surtout.
Je viens de tourner la dernière page, d'écrire ces mots qui ne font pas honneur à l'auteur. Pourtant, je sais, je sens que comme pour Dieutor, Charlie va me manquer longtemps.
Merci pour cette merveille.
Lire aussi l'interview de Lyonel Trouillot sur Biblioblog.
Romans de Lyonel Trouillot :
L'amour avant que j'oublie
Thérèse en mille morceaux
Bicentenaire
Les enfants des héros
Rue des pas perdus
Lettres de loin en loin : une correspondance haïtienne
L'éloge de la contemplation
La belle amour humaine
Dédale
Extrait :
Nathanaël, c'est l'amour. C'est la haine aussi. C'est les deux en même temps. Il fréquente des lettrés, plus âgés que nous. C'est normal, vu que dans sa tête il y a plus de lumière que dans les nôtres. Ils ont comme quoi un groupe d'études et ils développent des théories. Ils discutent beaucoup. Je ne vois pas à quoi ça sert, vu qu'ils sont tous d'accord. Les armes pour foutre le bordel. Mort aux exploiteurs. Comme si les choses pouvaient être plus bordéliques qu'elles ne le sont déjà. Remarque, moi, j'ai pas de problèmes, pourvu qu'ils n'achètent pas leurs armes avec notre argent. Le groupe d'études, c'est aussi un groupe d'action. Moi je sens que c'est plutôt l'inverse. L'action, ça les tient comme une démangeaison, ils mettent des mots là où ça gratte. Leur donner l'argent, c'est avoir travaillé pour rien, leur laisser tuer notre étoile. Et s'ils tuent avec le fruit de notre travail c'est comme si nous étions complices. Nathanaël, il prétend que, dans le monde qu'ils vont créer, y a aura des étoiles pour tout le monde. Il prévoit pas l'échec. Mais les grands projets ça finit toujours par foirer. Même Dieu il a foiré. Le père Edmond, il a beau dire, c'est quand même un peu nul cette guéguerre qui n'en finit pas entre le créateur du monde et l'une de ses créatures. Sorry. Gino, il doute de tout, contrairement à Filidor qui est habité par les dieux, mais ils sont d'accord sur une chose : ils ne veulent pas changer le monde.
Édition Actes Sud - 174 pages
Commentaires
mercredi 2 septembre 2009 à 20h05
Je dois dire que je n'ai pas autant aimé que toi! Je me suis même un peu ennuyée par moment. Il ne m'a pas touché malheureusement.
mercredi 2 septembre 2009 à 20h15
Cela arrive parfois, Chiffonnette. Peut être qu'un autre titre de l'auteur t'accrochera plus. Je l'espère en tout cas
jeudi 3 septembre 2009 à 19h27
Ton commentaire me donne envie d'y plonger, mais celui-ci est plutot "L'amour avant que j'oublie" (que j'ai eu beaucoup de mal à lire, si tu t'en souviens !) ou "Bicentenaire" (qui m'a beaucoup plu) ? Quelle que soit ta réponse, je pense essayer ce nouvel opus !
samedi 5 septembre 2009 à 07h52
En fait, Yohan, c'est difficile à dire. C'est surtout beaucoup "Yanvalou pour Charlie".
Je sais cela ne t'aide pas mais essaye tout de même. Cela vaut vraiment l'effort.
mercredi 14 octobre 2009 à 08h17
Voilà, je m'y suis plongé, et suis très content d'avoir suivi ton conseil !!!
mercredi 14 octobre 2009 à 08h32
Ah bien !! Je suis très contente que cette histoire te plaise, Yohan
jeudi 22 octobre 2009 à 22h49
Très beau texte comme toujours avec Trouillot même si ce n'est pas, pour moi, son plus beau...
lundi 26 octobre 2009 à 21h39
Ah, Segou, on a tous notre préféré
vendredi 15 janvier 2010 à 21h58
formidable livre, très émouvant et qui prend aujourd'hui, suite à la tragédie que vivent les haïtiens, une dimension encore plus dramatique ; je recommande vivement
dimanche 17 janvier 2010 à 11h03
Robther : je vous conseille vivement les autres ouvrages de l'auteur. Et bien évidemment, nous pensons à lui et à Haïti.
mardi 19 janvier 2010 à 22h24
Je suis sous le choc de cette lecture et du drame qui atteint Haïti. Grâce à ce roman fort, on comprend la solidarité de la population et leur désir de vivre sans oublier leurs morts.Voici quelques phrases que j'ai retenues : "La vie, elle fait pas souvent ce qu'on lui demande"," Si tu peux pas voir tout près de toi celui qui est dans le besoin, comment tu comptes faire pour rencontrer les autres ?", "Peut-être que les vrais voyages ne sont-ils que de petites visites de personne à personne","La Terre est une étoile que les hommes ont cassée en portions inégales", "C'est tout simple. Qu'est-ce qui fait la différence entre les gens ? L'Argent."
lundi 25 janvier 2010 à 07h53
Je suis d'accord avec vous, JoëlleM. Les romans de Lyonel Trouillot sont toujours forts et plein de ces belles pépites comme celles que vous mentionnées.
lundi 3 janvier 2011 à 21h50
Je l'ai terminé il ya deux jours, c'est une œuvre magnifique.
Cette authentique peinture de mon pays m'a beaucoup touchée.
lundi 28 février 2011 à 11h28
A mon tour, j'ai découvert Lyonel Trouillot, aidée par le biblioblog je dois dire, et viens de terminer "Yanvalou pour Charlie" qui m'a bouleversée. Quel choc! L'histoire, le style,les petites phrases qui tuent, le portrait, mélange de tendresse et de vitriol du pays haitien,tout cela me restera longtemps en mémoire.