"Papa" est un fugitif, un homme traqué depuis des mois par tous les villageois du coin. On dit qu'il a tué, que c'est un monstre. "Papa" est devenu une légende, et le voir là, prisonnier d'une salle de classe, laisse tous les hommes du village un peu déconcertés. Ils ne savent pas quoi faire de leur prise. Alors, en attendant que les chefs décident pour eux, les villageois enferment l'institutrice avec cet homme que tous craignent.

Le prisonnier est un huis-clos terriblement anxiogène : dans cette classe miteuse, pleine de sang et d'ombre, Julia et Papa vont attendre ensemble que le jour se lève. L'histoire ne dure qu'une nuit, et les échanges de parole entre les deux personnages peuvent se compter sur les doigts d'une main.Tout est silence, attente et angoisse. Julia sait qu'elle doit détester tout ce que cet homme représente, on le lui a tellement dit et répété. Et Julia a déjà fait tellement d'effort pour paraître normale aux yeux des villageois. Depuis quelques mois, elle met beaucoup d'énergie à donner le change : toute la journée paraître civilisée, respectable alors que chaque nuit elle cède à la folie et à l'auto-destruction. Mais le regard de cet homme l'hypnotise et lui renvoie sa propre image. Julia, la quasi-folle, va alors devoir affronter tous ses démons et apprendre à vivre. Il y n'a donc pas un, mais deux voir trois captifs dans ce récit : Papa, Julia et le lecteur. Car celui-ci se retrouve à son tour prisonnier des pensées de Julia et de sa façon si particulière d'appréhender le monde.

Au-delà du portrait psychologique parfaitement restitué, ce qui participe à l'efficacité de l'intrigue, c'est que l'on n'arrive jamais vraiment à situer cette histoire dans un lieu et/ou une époque : on se doute que cela se passe aujourd'hui en Amérique du Sud, mais cela pourrait très bien être aussi dans les terres reculées de la France du début du 20ème. En fait, de tout temps et en tous lieux, les hommes ont su se montrer bestiaux. Le rôle est tenu ici par les villageois, êtres primaires et grossiers. Ils ont la force du nombre pour eux et sont bien à l'abri de l'autre côté de la porte. Et puis bien sûr, en choisissant une salle de classe comme geôle, Anne Plantagenet nous renvoie à toute l'horreur d'une telle situation : ce qui devrait symboliser l'espoir et la liberté devient le temps d'une nuit, un lieu de mort et de torture ; et comme Julia, on se demande si l'éponge et la serpillère suffiront à effacer ce qui s'est passé là.

En dehors de deux ou trois longueurs, Anne Plantagenet réussit un tour de force : avec une intrigue minimaliste, elle parvient à créer un roman hors du temps tout en tension, aussi angoissant que captivant.

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Laurence

Extrait :

Julia n'arrive pas à s'empêcher de penser aux gosses, à ce qu'elle essaie de leur inculquer et qui se disloquerait en une seconde s'ils voyaient à présent la réalité sous un autre éclairage, leur école devenue prison, mouroir, faux tribunal, les villageois soldats et leur institutrice au milieu, jouet de l'histoire, aux prises avec la démence et l'alcool. Ne pas se fier aux apparence, jamais. Dans les maisons alentour, pourvu qu'ils dorment les gosses, espère Julia, qu'ils se bouchent le nez et les oreilles, qu'ils ferment leurs yeux comme des poings en pensant au lendemain. Ce n'est qu'un cauchemar, quand il se réveilleront tout sera fini. Il n'y aura plus de sang, d'atroces traînées dans la cour, dans le petit couloir, ni sur le sol de la classe, la vie d'un animal qui s'écoule, se vide et qu'on peut suivre à ses taches, à côté des pupitres et jusqu'au tableau noir.
Il y a du sang dans la classe de Julia.


Éditions Stock -  140 pages