Par un beau matin, Nexus, veilleur de nuit de son état, sort de chez lui, abat froidement trois passants et s'endort sur les corps de ces derniers. Interpellé par la police, il ne prononcera pas un mot pendant toute la durée de son procès. Les éléments qu'ont réussi à rassembler les enquêteurs sont assez minces : Nexus est amnésique et, avant le triple meurtre, il passait ses journées à dormir ou à parcourir les rues de Regson. Seul Drake, le gouverneur de la ville, ne parvient à croire à la folie de Nexus. Il engage donc Paulus Rilviero, officier de police, et Traumfreund, psychiatre aux méthodes peu orthodoxes mais efficaces, pour qu'ils découvrent ensemble les motivations réelles du meurtrier.
Traumfreun embarque tout ce petit monde dans une maison d'architecte aux murs mouvants, et après quelques semaines d'isolement, Nexus semble enfin prêt à passer aux aveux. Il révèle alors aux deux hommes qu'il a une vie parallèle, dans un univers parallèle. À chaque fois qu'il s'endort, il se retrouve à Seabra, un monde qui a ses traditions, ses croyances, ses guerres, mais que le désert gagne. Si Rilviero et Traumfreund veulent comprendre ce qui a poussé Nexus à tuer des inconnus, il devront écouter jusqu'au bout son histoire à Seabra.

La quatrième de couverture parle d'une exploration passionnante des territoires de la folie et du sommeil ; d'une fresque sur la place de l'imaginaire [...] reprenant certains codes des grands thrillers américains. Soit. Mais cette référence aux thriller me semble totalement hors de propos et risque d'induire en erreur beaucoup de lecteurs potentiels. D'autant que Vincent Message dit lui-même qu'il n'a pas voulu écrire un roman policier. Et en effet, Les Veilleurs ne correspond absolument pas à ce genre narratif. L'idée, me semble-t-il, était plus de proposer une réflexion sur la psychologie des meurtriers et sur la frontière ténue entre rêve et réalité. Mais voilà... À trop vouloir faire d'effets, Vincent Message laisse son lecteur sur le bord de la route.

Ceux qui suivent régulièrement ce site, savent que je suis particulièrement sensible au style d'un auteur. Il ne suffit pas pour me contenter d'un scénario qui tienne la route. Encore faut-il que l'écriture qui porte le récit soit singulière. Et c'est une délicate alchimie, car le style, tout en étant présent, doit être au service de la narration et savoir se faire oublier pour que le lecteur puisse pénétrer entièrement l'univers proposé. Or Vincent Message en fait tellement que l'on est parfois obligé de relire plusieurs fois la même phrase pour parvenir à la comprendre :

Rilviero s'est posé en compagnie d'une expresso qui paraît minuscule sur l'immense table et d'un énorme coup de barre

À force d'accumuler les zeugmes (exemple ci-dessus), les asyndètes, les circonlocutions, les métaphores interminables et autres figures de style, le texte perd toute fluidité et la forme prend le pas sur le fond. Concentré que l'on est sur la syntaxe, on n'arrive pas à éprouver d'empathie pour les protagonistes et leur histoire semble alors ne jamais vouloir finir.

Vincent Message justifie l'épaisseur de son roman par l'entrecroisement des deux narrations, et je lui donne ici raison. Ce récit ne pouvait se concevoir en quelques deux cents pages. Mais si Le Maîtres des Illusions de Donna Tartt m'avait donné l'impression d'un court roman, Les Veilleurs, avec le même nombre de pages mais dans un style lourd et indigeste, m'a paru interminable.
Pourtant, je me suis accrochée, j'ai nagé à contre-courant, désireuse malgré tout de connaître le dénouement. Las, la fin du voyage ne m'a pas plus satisfait que le reste.

Un dernière question me tarabuste : d'après ce que j'ai pu lire dans les commentaires du billet d'Ys, nous sommes nombreux dans la blogosphère à avoir peiné sur ce récit, et beaucoup ont finalement abandonné, alors que dans l'ensemble, les blogueurs sont des livrophages qui avalent les romans comme qui rigole. Or, Les Veilleurs, en obtenant le Prix Laurent Bonelli et Virgin Mégastore (dont l'objectif est de faire découvrir de nouvelles plumes au grand public) sera en très bonne place dans les rayons du-dit magasin. Combien, attirés par cette distinction, seront finalement très déçus et n'arriveront pas au terme de leur lecture ? Un autre choix n'aurait-il pas été plus pertinent ?

Laurence

Extrait :

Quand les forces de l'ordre sont arrivées - et dans cette ville où la raison dicte la cadence, elles n'ont pas dû traîner les voix enchanteresses des sirènes - nous formions déjà un seul bloc, mon sommeil commencé en même temps que leur putréfaction. Ils n'en ont sans doute pas cru leurs yeux. Moi j'étais endormi, mais pas don de seconde vue je m'imagine la scène. « Quatre morts ? On nous avait dit trois. - Non, attention, je suis témoin, le type du dessus c'est le meurtrier. - Vous vous foutez de ma gueule ? - Je vous crache sur la Bible et la tombe de ma mère qu'ils s'est couché sur eux.»
Trois morts. C'est bien ce qu'il faut pour arrêter les rues. Sur le trottoir désert, mon charnier se trouvait peu à peu cerné par les sirènes. Même quand on a résolu par avance de ne pas les écouter, elles percent les tympans et imposent y compris au dormeur le plus inébranlable leur conception du monde. J'ai essayé. Je me suis accroché à mon mât de chair morte. À la horde des sirènes j'ai déclaré que j'étais sur le départ, que j'avais le droit de rentrer chez moi maintenant. Mais leur parler ne sert à rien : elles habitent dans leur univers, plus haut dans le spectre des fréquences, et à force de crier elle se sont rendues sourdes.


Éditions du Seuil -  631 pages