Monsieur V. (Paul ne peut se résoudre à appeler cet inconnu du nom d'un poète mort 50 ans auparavant) affirme que Breton a inventé et dément avoir tenu ces propos. Bien au contraire, il pense que cette heure particulière du jour a une importance prépondérante dans les arts et la littérature et propose alors à Paul Béhaine de le lui faire découvrir. Dès lors, la vie de Paul Béhaine va tourner autour des rendez-vous avec Monsieur V. - rendez-vous qui auront lieu bien sûr à 5 heures - et de cette mystérieuse obsession. Mais qui est réellement Monsieur V. ? pourquoi est-il tellement obnubilé par ces cinq heures ? Et surtout, pourquoi veut-il se faire passer pour Paul Valéry, lui refusait si ardemment le genre romanesque ?
Pour son premier roman, Gilles Heuré nous invite donc à redécouvrir notre patrimoine littéraire et pictural à travers le prisme du jour finissant.

Écrire tout un roman sur l'importance et la récurrence d'une heure particulière dans les arts est un pari un peu fou et périlleux... Gilles Heuré, avec un style volontairement suranné mais non dénué d'humour, pointe ces cinq heures dans les grands romans et démontre que loin d'être anodines, elles sont le moment propice à l'amour, la haine, le doute et les relations sociales. La ré-interprétation des grandes œuvres picturales et du travail des artistes à ce moment du jour sont très intéressantes. Mais si au début, on se laisse emporter dans ce voyage singulier, rapidement l'impression de tourner en rond prend le pas : les monologues de Monsieur V. deviennent répétitifs, la démonstration poussive et la recherche de l'identité réelle de Monsieur V. semble passer au second plan. Je ne vois pas, par exemple, l'intérêt de compiler les références sur plus d'une page, outre la volonté de montrer que Monsieur V. est psychiatriquement atteint et que l'auteur s'est longuement documenté. En fait, on aurait très bien pu imaginer le même roman sous le joug d'une autre heure et arriver au même résultat. Peut-être est-ce dû à la forme même du récit et le genre de la nouvelle aurait été ici sûrement plus pertinent et efficace. Malheureusement, j'ai fini par m'engluer dans ces cinq heures et c'est sans réel plaisir que je suis arrivée au terme de ma lecture. Je le regrette d'autant plus que je trouvais l'idée de départ délicieusement irrévérencieuse.

Laurence

Extrait :

On aura compris que rien ne sera fortuit dans l'étrange récit dont il va être question, et que tout ce qui est imaginaire est donc réel. Et inversement. Improbable et même impossible est cette rencontre entre un homme, Paul Béhaine, de plain-pied dans son monde quotidien, et... et qui donc d'ailleurs ?
- Puis-je savoir qui vous êtes monsieur ? lui demanda Paul.
- Je m'appelle Paul Valéry. Mettons.
Après cette information qui n'en était pas une, la poursuite du dialogue semblait redoutablement compromise. Paul Béhaine, homme de peu, mais homme réel, ne pouvait logiquement converser plus longtemps avec Paul Valéry, poète, essayiste, philosophe, académicien, mort en 1945, donc physiologiquement inapte à discuter sur un pont enjambant la Seine dans ces années du XXè siècle finissant. Il serait vain et parfaitement inutile de chercher à prouver cette évidence. Dans le coin du plus reculé des recoins de son cerveau, Paul savait pourtant que cet homme était vivant. Il le savait tellement qu'il ne cherchait même pas à s'en convaincre. Vivant : le battement de ses cils aux assauts du soleil, le frémissement de ses doigts quand il semblait caresser une idée pour la faire éclore, les rivières de son visage par où devaient parfois s'écouler des larmes... L'homme vivait, Paul le savait, en était sûr. Il en aurait mis sa tête à... bon, peut-être pas jusque-là, mais pas loin.


Éditions Viviane Hamy -  288 pages