Qui n'a pas un jour chanter la ritournelle : un kilomètre à pieds, ça use, ça use ... un km à pieds, ça use .... ? Qui n'a pas un week-end décidé d'aller prendre l'air, de faire un petit tour le long de la rivière voisine ou le joli parc avec les bambins ? Marcher, tout le monde sait le faire, peut le faire. Mais selon l'auteur, il y a marche et marche. Il y a la marche des villes, celle des pressés déboulant vers un objectif minuté et la marche qui prend son temps, celle où l'on oublie l'inutile pour l'essentiel.

On marche comme un vagabond ou pour aller en pèlerinage - voyez ceux de Compostelle. On marche seul ou en groupe en randonnée. On marche pour changer d'air ou pour se retrouver un peu, remettre ses idées en place, évacuer le stress de la semaine.

Tout le monde sait cela, me direz-vous. Certes ! Mais l'auteur étaie son propos d'une expérience personnelle de marcheur - ce point ne fait aucun doute. Les marcheurs, les vrais reconnaissent l'un des leurs à sa façon de parler de cet exercice. Tout le monde comprendra ce que l'auteur souhaite démontrer tant son style est simple, nullement alourdi de concepts philosophiques abscons. Tout est simplement décrit. Mettre un pied devant l'autre, puis l'autre encore et recommencer. Bien respirer. Être en groupe ou partir seul. Trouver son rythme de marche, celui qui convient bien à sa physiologie, à son tempérament et laisser les kilomètres se dérouler sans fatigue aucune. Le plus de F. Gros est également d'illustrer ces principes de base avec des exemples de marcheurs célèbres comme Kant qui partait en promenade à heure fixe, Rimbaud et son besoin viscéral de liberté et de soleil. Nietzsche ne savait réfléchir qu'en marchant. Ne disait-il pas que Marcher fait venir naturellement aux lèvres une poésie répétitive, spontanée, des mots simples comme le bruit des pas sur le chemin.

Pour le Mahatma Gandhi, la marche faisait partie de son hygiène de vie et spirituelle mais elle est aussi devenue acte politique. Il a marché en résistance contre le joug de l'Empire britannique. Sa marche pour le sel a rendu l'indépendance de son pays possible. A suivre les pas de ces grands hommes, la marche devient acte d'une toute autre nature.

Avec ce livre, F. Gros prêchait de toute façon une convertie. Rarement je n'ai lu un ouvrage qui, à chaque page me donnait envie d'enfiler mes chaussures de rando. Mon besoin de sortir devenait de plus en plus pressant. Mon désir d'une nouvelle rando en montagne en est un peu plus exacerbé. A tout coup, Marcher, une philosophie, m'accompagnera lors de cette marche-là, dans cette méditation-là.

Une très belle découverte que cette lecture. Et assurément un ouvrage à offrir à des marcheurs et même des sédentaires patentés pour leur prouver que les kilomètres, ça n'use pas forcement.

Dédale

Extrait :

Faut-il vraiment marcher seul ? Les exemples ne manquent pas : Nietzsche, Thoureau, Rousseau…
Etre en compagnie oblige à heurter, empêcher, fausser le pas. Parce qu’il s’agit bien, en marchant, de trouver son rythme fondamental, et de le garder. Le rythme fondamental est celui qui convient à chacun, à ce point qu’il ne se fatigue pas et peut marcher plus de dix heures sans s’épuiser. Mais il est très exact. Alors, quand il s’agit de se caler sur le pas d’un autre, pour accélérer ou ralentir, le corps suit moins bien.
Pour autant, la solitude complète n’est pas absolument nécessaire. Jusqu’à trois ou quatre.. Jusqu’à trois ou quatre, on peut encore marcher sans se parler. Chacun prend son pas, de faibles distances se creusent, et le premier de temps à autre se retourne, marque la pause, jette un « tout est bien ? » détaché, automatique, presqu’indifférent. On lui répond par un signe de la main. Poings sur les hanches, on attend le dernier, on repart et les ordres se transforment. Les rythmes vont, viennent, se croisent. Parce qu’aller à son pas, ce n’est pas marcher de manière absolument uniforme, totalement régulière : le corps n’est pas une machine. Il s’offre de légers délassements ou des moments de joie affirmative. Jusqu’à trois ou quatre, la marche permet donc ces moments de solitude partagée. Parce que la solitude aussi se partage, comme le pain et le jour.


Éditions Carnets nord - 290 pages