Laurent Fialaix ne s'adresse pas au lecteur mais à Jean-Phy, son alter égo, l'amour de sa vie trop tôt disparu. Après six années de vie commune rendues difficiles par un accident et la dépression de Jean-Phy, ce dernier, par un sombre après-midi de juillet, commet l'acte irréparable en mettant fin à ses jours. Pour ne pas sombrer, Laurent Fialaix se confie à la page blanche, à cet autre lui qui ne répondra plus. Mais il le fait avec une telle simplicité, une telle sincérité et un tel amour, que l'on ne peut rester insensible.

Le cœur de cette histoire est bien évidemment le travail de deuil quand l'être que l'on aime le plus au monde décide un jour de "partir" seul. On est alors empêtré dans un imbroglio de sentiments plus ambigus les uns que les autres: entre le vide que crée le départ, la culpabilité de n'avoir pas vu, la colère face à une décision si définitive, la difficulté de se reconstruire, les souvenirs bons et mauvais, Laurent Fialaix ne masque rien. Il ne se donne jamais le beau rôle du veuf éploré ni n'oublie les défauts de son compagnon. En ce sens, la confession de Laurent Fialaix est universelle : elle nous parle de tous ces gens qui se sont aimés follement et que la mort a séparés.
Mais Laurent Fialaix évoque aussi, au fil des pages, les difficultés auxquels font face les couples homosexuels, les vides juridiques et le regard des autres. Pour autant, Nos bonheurs fragiles n'est pas un récit militant, et ce serait une grave erreur de le réduire à cela. Comme je le disais plus haut, il s'agit avant tout d'une déclaration d'amour poignante. A vrai dire, en lisant ce roman, on oublie toute considération stylistique ou littéraire; on constate simplement que chaque mot sonne terriblement juste, que la démarche est d'une grande sincérité et que c'est ce qui rend ce texte si fort. Et si le bonheur est fragile, Laurent Fialaix montre aussi ici qu'il peut être pluriel et que la vie continue malgré tout.

Laurence

Extrait :

Aujourd'hui, si le temps passe, si j'ai repris une vie que ceux qui ne savent pas peuvent estimer « normale », en secret je n'ai pas pansé mes plaies. Sur mes montagnes russes, il m'arrive de me ruer dans des impasses que je suis le seul à ne pas voir.

Les pages qui suivent en sont le reflet aussi sincère que possible, l'histoire d'un deuil dont je ne sais encore s'il est tout à fait possible, mon histoire, le journal de ma vie sans toi. Avec mes paradoxes, mes aveuglements, mes larmes et mes furtifs petits bonheurs, mes souffrances et mes espoirs, mes idées noires, mes abandons et cette envie obsessionnelle de tout recommencer.
Recommencer. Mais quoi ?
Quelque chose qui nous ressemblerait, toi et moi.
Quelque chose devenu impossible sans doute.


Éditions Léo Scheer -  189 pages