La première partie du roman suit Eduardo Rymar au Nouveau Monde, de frustrations en humiliations – sa difficile acclimatation aux climat et mœurs locaux, ses errements dans les couloirs du palais, son désœuvrement.
Puis le récit se centre peu à peu sur le fils adoptif de celui-ci, au destin symétriquement contrarié : Angelo, qui a l’oreille absolue et le secret désir de la musique, se voit contraint par son père d’intégrer l’école militaire puis de partir combattre les rebelles – quelques scènes très fortes en fin de roman.
Il est des livres qu’on dévore et d’autres qu’on savoure, avec autant de plaisir. Le Colonel désaccordé appartient à la deuxième catégorie. Par son écriture classique, sa toile de fond historique – prétexte/contexte au portrait d’un homme dans toute sa grandeur et toute sa faiblesse -, par son personnage principal plutôt antipathique au départ, Le Colonel désaccordé m’a fait penser au Roi de Kahel de Tierno Monenembo.
Une petite remarque, féministe, pour terminer. Roman de (non) guerre et de musique, de geste coloniale et de relations militaro-nobiliaires, Le Colonel désaccordé est un roman masculin. Deux figures féminines viennent pourtant éclairer ce monde de frustrations. C’est Rosalia, qu’Eduardo épouse presque sur ordre du régent, et auprès de laquelle il trouve ses rares moments de paix. C’est Florinda, fiancée du chef rebelle, qu’Angelo rencontre dans une scène qui fait penser au Pianiste de W. Szpilman, et qui l’aide à accoucher de sa musique. (Je pense d’ailleurs comme Yohan que les deux dernières pages du roman sont de trop, et que le doute aurait été préférable). En ce monde tourmenté, l’homme trouve en la femme celle qui le révèle à lui-même, sa rédemption. « Je te dis que tu es l’aube, le lendemain, tous les lendemains, et que seul compte cela qui fait de toi une promesse. Je te dis que tu es ma chance et mon pardon […], toute ma vie. » [Le Rapport de Brodeck de P. Claudel, LdP p.316]
Merci à Babelio et son opération Mass Critique pour cette découverte.
Nezdepapier
Extrait :
- En vérité…
- Rien ne presse. La traversée sera longue, et les occasions nombreuses de renouer cette conversation.
- … ou d’en commencer d’autres ! biaisa Rymar. La musique, voyez-vous, m’est aussi étrangère que la broderie au point de croix.
- Vous vous moquez, sans doute ?
La stupeur du soldat fut telle qu’il cessa de respirer. Ses paupières battaient lentement dans un visage de cire.
- Et pourquoi donc ?
- Vous connaissez votre mission, n’est-ce pas ? s’enquit Botifoga, en détachant les mots comme s’il traitait un sourd. Vous savez pourquoi l’on vous envoie au Brésil ?
La langue du capitaine semblait engourdie. Il déglutit péniblement.
- Pour combattre ! Quoi d’autre ? Je suis soldat !
- Oh … C’est embarrassant !
Le commandant souleva son tricorne qui lui donnait chaud. Peut-être s’accusait-il d’avoir trop parlé. Il s’essuya le front et récita d’un trait, comme publiant une calomnie :
- L’état-major vous a confié les instruments [les clavecins] convoyés sur le Voador. Une fois au Brésil, vous en assurerez la livraison chez leurs propriétaires.
Il sembla à Rymar que tout son sang refluait vers le cœur.
Éditions Gallimard - 348 pages
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