Le récit fait alors immédiatement un saut dans le temps de près de 10 ans, et nous retrouvons le narrateur en faculté de médecine, puis quelques années encore plus tard en train de séduire sa future femme. Toujours obsédé par les cubes qu'il a vu dans son enfance, il est persuadé que son existence est intimement lié à ces parallélépipèdes. «Pour celui qui cherche un signe, il n'y a rien de plus facile que de la faire apparaître, presque à volonté». Il n'est donc pas étonnant que sa vie recroise celle du Duke, et quand ce dernier lui propose de travailler à son service, le narrateur saute sur l'occasion, sûr d'obtenir ainsi la clé du mystère qui le hante depuis des années.
Ces Cubes m'ont laissée pour le moins dubitative... En lisant la quatrième de couverture, je m'attendais à un récit au suspens intense, une narration toute en tension qui frôlerait le fantastique. Mais pendant 170 pages, je me suis demandée où l'auteur voulait nous emmener : le narrateur déroule les événements importants de sa vie et hormis cet entêtement à voir des cubes partout (un aquarium dans une soirée, la couveuse de son fils...), son existence n'a rien de particulièrement remarquable. Et puis le style de l'auteur m'a souvent agacé : quelle nécessité d'accumuler ainsi les parenthèses et les points d'interrogation ?
Ils m'impressionnaient et pas seulement pour leur érudition. Ils étaient un groupe d'amis et moi un pauvre solitaire. Et cette épopée dans laquelle ils se lançaient. À côté d'eux, qu'est-ce que je valais ? Mais pourquoi étais-je si différent ? S'ils m'avaient proposé de partir avec eux (pourquoi l'auraient-ils fait ?) (je n'avais pas vraiment l'air « cool » dans ces vêtements qui ne voulaient pas sécher) (et commet aurais-je pu devenir «cool» comme eux ?), je leur aurais répondu oui sur-le-champ et j'aurais grimpé dans le train. N'ai-je pas même espéré un geste de leur part ?
En fait le récit commence réellement quand le narrateur va accepter de travailler pour le Duke, soit à plus de la moitié du roman. À partir de là, il y a effectivement des coïncidences troublantes et l'on soupçonne que le narrateur n'est qu'un jouet dans les mains du milliardaire. Mais pourquoi avoir tant attendu ? Le sujet était pourtant intéressant et aurait pu donner naissance à un récit inquiétant et dérangeant. Ou alors aurait-il fallu que la plume de l'auteur magnifie cet apparent vide, que l'écriture porte réellement la narration. Après tout, il y a bien des romans sublimes dans lesquels il ne se passe trois fois rien. Mais à force de délayer, de prendre des tours et des détours, Yann Suty a fini par me perdre en route et malgré une fin plus intéressante, je n'ai pas réussi à raccrocher les wagons. Dommage.
Laurence
Extrait :
Alexis est revenu vers moi et m'a persuadé d'y jeter un œil de plus près. Je me suis relevé. Quand je me suis retrouvé au pied de l'un des cubes, j'ai levé la tête sans pouvoir en distinguer le sommet. Après avoir hésité, j'ai prudemment tendu la main et mon index a effleuré la paroi en verre. Une sensation de froid m'a envahi. Ensuite, j'ai posé la main à plat et une vague de chaleur m'a submergé. Un instant, j'ai cru que le cube avait ressenti ma présence et qu'il tentait d'établir le contact. Ce n'était pas le cube, mais moi. Un goût rance a inondé ma bouche et je me suis rendu compte que je saignais du nez. En me penchant en avant, j'ai éclaboussé l'herbe d'un sang qui m'a paru noir malgré la clarté de la nuit.
Éditions Stock - 295 pages
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