Dans L'éloge de la contemplation, un prisonnier - réel, imaginaire ou mental - parle, donne ses impressions depuis sa cellule, son rapport avec l'extérieur, avec ce qui lui manque maintenant qu'il est enfermé. Ses pensées tournées vers l'ailleurs, vers celle qu'il « ne touche qu'en son absence ».

Que dire sur ces textes, si ce n'est que l'on y retrouve toute la poésie dont l'auteur nous a donné l'avant-goût cachée dans ses romans. Là, en textes très courts, on entre de plein pieds dans son monde. Toujours tourné vers l'autre - il ou elle. Certains aiment les paysages d'autres se tournent vers d'autres géographies. Tout est une question de regard et de centre d'intérêt, d'échanges - de regards, d'aquarelles, de mots. Des mots, doux ou bien durs, d'amour ou de colère. Un regard tout de tendresse ou bien de froide lucidité sur le Monde.

Je suis l'auteur quand il signifie que le regard est un acte si important.

On n'a jamais autant montré les guerres, les machines. Tous les matins, sur les grandes places boursières on nous montre en courbes et en chiffres l'inusable mouvement de la monnaie virtuelle... Et pourtant on ne voit rien

Le regard comme un engagement, comme un combat pour la liberté, la lumière.

Lire de la poésie, en prose ou en vers, est toujours pour moi un exercice difficile. Alors il faut se dire : laisse toi aller à la musique des mots. Suit le cours des sons et des images. Certains textes restent obscurs ou « parlent moins » et puis d'autres vous explosent littéralement dans le cœur. Comme Résistance ou Mains. C'est.... Tout cela et bien d'autres choses.

Avec Les dits du fou de l'île, c'est un fou qui se présente. Mais est-il bien fou ? Ne sommes-nous pas toujours le fou de l'autre ? Comment faire comprendre aux gardiens tous les mondes qu'il garde en lui ? Mais avec les dits du fou de l'île, n'est-ce pas l'île elle-même qui parle et raconte sa vie, son histoire, ses malheurs ? Et ce rêve un jour de voir une gamine qui mangeait à sa faim. Avec des dents de première fois.

Dans Rendez-vous, nous assistons à la rencontre entre un homme et une femme. C'est la rencontre en la beauté de la jeunesse et celle de l'expérience, de l'âge. Parce qu'elle et tant pis pour les trente ans d'écart. Mais il a appris à ne prendre que ce que l'on donne. Elle, la femme aux mots couleurs arc-en-ciel part parce qu'il n'a pas osé un baiser sur la joue. Mais elle n'a pas dit qu'ils ne se reverraient pas. Espoir.

Ce ne sont que de simples mots, des impressions fugaces peut être erronées par rapport à l'idée première de l'auteur. Rien qui puisse réellement donner la mesure des images, des idées, des engagements de l'auteur. Un autre lecteur aura une toute autre approche, un autre ressenti. Quelques mots pour partager ces quelques pages, ce monde à part. Autre, toujours l'autre. Lyonel Trouillot, c'est l'éloge de l'autre et de ses richesses. Sujet, auteur ou lecteurs. Lui, eux, elle, la vie. Mais quel spectacle que la vie !

Lire aussi l'interview de Lyonel Trouillot sur Biblioblog.

Romans de Lyonel Trouillot :

Dédale

Extrait :

La mort du loup

Un homme s'est suicidé dans la cellule voisine. Cela s'est passé dans le plus grand silence. Les gardiens se sont acharnés sur son cadavre. C'est à dire qu'ils l'ont remué, palpé, cherchant un souffle. Rien n'agace autant un geôlier que la perte d'un prisonnier : Pour un représentant de l'ordre, c'est une chose inadmissible qu'un homme échappe à son statut. Je regrette de n'avoir jamais pu échanger avec lui. Peut-être, lui aussi, n'aimait-il guère les paysages. les paysages ont toujours été pour moi d'un mortel ennui. Ma géographie est faite de visages. Quand j'étais libre, j'aimais marcher, prenant au bord des routes des arrêts sur visage. Dakar est une ville qui tient à un cheveu. Montpellier est ce vieil ami qui travaille dans la construction. Port-au-Prince des rires et des larmes d'enfant. Rappelle-toi. Une fois nous sommes allés dans la montagne. Tu prenais des photos et je te regardais. Tu touchais la brouillard et je te regardais. Tu achetais des fleurs et je te regardais. Tu aimais la nature et je te regardais. Après tu m'as demandé si ce n'était pas beau. Je t'ai répondu que c'était très beau en effet. Nous ne parlions pas de la même chose. on sacrifie toujours à une géographie, l'astuce est de savoir laquelle. Je regrette de n'avoir pas pu échanger avec mon voisin de cellule. Une conversation sur nos géographies respectives aurait sans doute fait de nous des ennemis intimes ou des voisins complices.


Riveneuves Editions - 62 pages