Dans une friche industrielle, on découvre le cadavre nu d'un homme, la main droite amputée. Ou plutôt déchiquetée.
Quelques semaines plus tôt, un homme se tire une balle en pleine tête, dans un centre commercial bondé. Rien pour relier les deux hommes. Rien, si ce n'est la perspicacité de l'équipe d'enquêteurs, l'instinct de flic de Rufus Baudenuit et une bonne dose de chance.
Mais peut-être n'est-ce pas suffisant pour sauver ces hommes, dressés comme des chiens, perdant peu à peu toute volonté, toute identité.

Après l'excellente saga Malhorne publiée chez Bragelonne, Jérôme Camut frappe un nouveau grand coup en signant un thriller haletant, époustouflant, sombre à souhait et premier volume d'une trilogie appelée Les Voies de l'Ombre. La première particularité de ce roman est qu'il est écrit à quatre mains. En effet Jérôme Camut et Nathalie Hug sont mari et femme et écrivent ensemble cette trilogie. La note des auteurs en ouverture donne le ton de cette aventure :

Prédation est le fruit d'une étroite collaboration, d'une complète écriture à quatre mains. Nous y avons mélangé nos styles, nos ego, nos phrasés et nos esprits, sans doute un peu déviants, pour élaborer et développer cette histoire amorale. Et surtout nous avons goûté au plaisir de créer, à deux.

Il m'a rarement été donné de lire un roman aussi prenant en matière de thriller. J'ai été pour ainsi dire dans l'incapacité de le lâcher du moment où j'ai commencé à lire. Happé par l'histoire, je me suis retrouvé face aux atrocités décrites, aux soucis rencontrés par l'équipe d'enquêteurs et à l'envie d'en savoir toujours plus, de sauver ceux qui pouvaient encore l'être, de comprendre pourquoi, les motivations de l'homme derrière tout ça. Et je dois avouer que je n'ai pas été déçu, loin s'en faut.

Malgré tout, certaines étapes ont été assez transparentes, il y a des choses que l'on sent venir, mais c'est aussi ça, le plaisir de la lecture d'un roman policier : faire travailler ses méninges et essayer d'anticiper sur l'auteur, tenter d'y voir plus clair que l'enquêteur. Pour être honnête, je n'ai pas réussi, malgré quelques éclairs de génie. Je me suis fait balader par les auteurs et n'ai vu venir le final que deux pages avant. Ce qui me fait dire que c'est du très bon !

L'écriture est la même que celle que j'avais aimé dans Malhorne. Descriptive, précise, corrosive. On peut distinguer plusieurs parties qui se superposent dans la construction du roman, et chacune d'elle est menée de main de maître. A ce sujet, je serais curieux de savoir comment a été construit le roman. Comment s'est répartie cette écriture à quatre mains. Chacun a-t-il travaillé un personnage de son côté, ou alors une partie de l'histoire ? Ou bien est-ce vraiment le fruit d'une collaboration de tous les instants, de décisions discutées et réfléchies ensemble ? Je serais aussi curieux de savoir quelles recherches, quels éléments ont amené l'écriture de cette histoire, car le quatrième de couverture indique que le roman est « étrangement en prise avec les faits divers les plus choquants de notre époque »... Bref, pour le curieux que je suis, il manque... une interview avec les auteurs ! Et un corpus d'annexes. Décidément, je ne suis jamais satisfait...

Ceci dit, je pense que je ne le répéterai pas assez, ce roman est absolument à lire pour les amateurs de thriller puissants, de scenarii pointus et de réflexions abyssales sur la violence et l'être humain.
A découvrir, absolument !!!

Nota : La trilogie est complète. Les volumes 2 et 3 sont respectivement Stigmates et Instinct parus en 2007 et 2008 aux éditions Télémaque et actuellement édités au Livre de Poche.

Cœur de chene

Extrait :

Cécile Herzog émerge de l'obscurité et vient se planter devant Rufus. Elle tient entre son pouce et son index gantés une forme oblongue maculée de terre.
- Un doigt, enfin, ce qui en reste. Salut, Rufus. Je ne suis pas mécontente de te voir. Cette affaire n'est pas limpide. En tout cas, pas pour moi.
- Raconte.
- Un petit bonjour peut-être ? Non, rien.
Cécile laisse traîner un silence. Elle travaille avec Rufus depuis trois ans et connaît assez bien l'homme. Avare en parole, bon professionnel et soutien inconditionnel en cas de coup dur.
- J'ai pas dormi et j'ai cinquante piges, Cécile. Ça n'excuse rien, mais ça explique.
- Bon, reprend Cécile. La patrouille de nuit a découvert ce corps aux alentours de minuit, suite à l'appel d'un témoin. Ce chantier est interdit au public, mais la porte d'accès était ouverte.
- Quelle porte ?
- Celle qui se trouve de l'autre côté.
Cécile indique, en se retournant, l'avenue derrière elle, celle qui surplombe l'autoroute.
- Tu vois de quoi je parle ?
Rufus acquiesce.
- Bref, ils ont mis le périmètre en quarantaine et ont fait remonter l'info, poursuit Cécile. Voilà comment je vois la scène. Quand ce type est entré, il était déjà dénudé. Ne me demande pas d'où il venait, ni pourquoi il ne portait pas ses fringues, je n'en ai aucune idée. Il a dû courir jusque-là, au milieu du terrain. Ensuite, il s'est arrêté. Il y a un piétinement encore apparent dans cette zone. Et puis, il s'est remis à marcher, vers les palissades. Et là, grand mystère, quelque chose lui a arraché le bras. On a retrouvé des morceaux...
- Explosif, articule Rufus.
- Pardon ?
- C'est pas une arme. Seul un explosif peut faire ça.
- Tu me sembles bien sûr de toi.
- Continue, on verra plus tard si j'ai raison ou tort.
- C'est à peu près tout. Il n'est pas mort sur le coup. Il y a des traces de sang coagulé sur un peu plus de deux mètres.


Éditions Le Livre de Poche - 567 pages