Avant que Philippe Doumenc n’invente une suite à Emma Bovary, Julian Barnes signe avec Le perroquet de Flaubert une bien troublante et stimulante biographie iconoclaste et fictionnelle de l’auteur. En une quinzaine de chapitres, Barnes tente de circonscrire la personnalité de cet auteur mystérieux. Il convoque par exemple plusieurs chronologies de la vie de Flaubert, qui le présentent de manière très différente selon l’angle choisi : soit très sage, soit quasiment libidineux. Ou bien il scrute les différences références animalières qui jalonnent l’œuvre flaubertienne, pour dessiner un portrait bestial de l’écrivain qui se décrivait lui-même comme un ours.

Braithwaite (ou Barnes, car c’est parfois assez compliqué de choisir) a une telle attirance pour Flaubert qu’il en arrive à pasticher son dictionnaire des idées reçues : de Achille, frère aîné de Gustave, à Zola, Emile, chaque entrée du dictionnaire permet d’appréhender un peu mieux l’auteur. Mais la parole est également donnée à Louise Colet, le grand amour de l’auteur, qui raconte sa vision des choses, ou à un professeur américain qui dit avoir brûlé les lettres de Juliet Herbet, une maîtresse présumée de l’auteur.

Chaque chapitre est une approche originale, qui rend ce roman très riche. Celui que j’ai préféré est celui qu’il consacre aux yeux d’Emma Bovary, en remettant en cause une critique britannique qui a un peu vite déduit de différents extraits que Flaubert avait peu de suite dans ses idées, arguant du fait que les yeux d’Emma changent de couleur dans le roman. En reprenant les extraits dans leur globalité, Barnes montre que Flaubert ne change pas d’avis sur la couleur des yeux de son héroïne, et renvoie la critique à ses chères études..

Le perroquet de Flaubert, malgré sa forme particulière est bien un roman. Cette forme biographique, si elle utilise beaucoup de textes ou de citations, que ce soit les romans ou les lettres de Flaubert, n’empêche pas Barnes d’inventer des histoires, de supposer, de supputer. Ce qui fait que le lecteur ne sait jamais trop quelle est la part de vérité du texte, d’autant que la limite entre le narrateur et l’auteur est certainement assez peu étanche.

Un livre très plaisant que cette digression normande en compagnie de Gustave, qui met en avant les qualités d’écrivain de Julian Barnes. Une découverte intéressante et intrigante, et qui donne envie de se plonger dans L’éducation sentimentale ou Salammbô.

Autre roman de l'auteur : Une fille, qui danse

Par Yohan

Extrait :

L’OURS

Gustave était l’ours. Sa sœur Caroline était le Rat – elle signe elle-même « ton cher rat », « ton rat fidèle » ; il l’appelle « petit rat », « ah ! rat, mon bon rat, mon vieux rat », « vieux rat, vieux coquin de rat, mon bon rat, mon pauvre vieux rat » - mais Gustave était l’Ours. Quand il n’avait que vingt ans, les gens trouvaient que c’était « un drôle d’original, un ours, un jeune homme, comme il n’y en a pas beaucoup » ; et avant même sa crise d’épilepsie et sa réclusion à Croisset, l’image s’était imposée d’elle-même : « Je suis ours et je veux rester ours dans ma tanière, dans mon antre, dans ma peau, dans ma vieille peau d’ours, bien tranquille et loin des bourgeois et des bourgeoises ». Après sa crise, la bête s’est confirmée en lui : « Le vis seul comme un ours » (Dans cette phrase, le mot « seul » est défini ainsi : « seul, sauf pour mes parents, ma sœur, les domestiques, notre chien, la chèvre de Caroline, et les visites régulières d’Alfred Le Poittevin ».)


Éditions Stock -  341 pages