Elizabeth a un jour brièvement rencontré Thomas. Minutes fulgurantes, sans sexe, mais qui vont l'accompagner pendant les quinze années de son médiocre mariage. Puis ils se retrouvent à Rome, encore par hasard, et cette fois, l'union de ces deux être faits l'un pour l'autre a lieu. Mais s'il est libre de toute attache, Elizabeth a un mari, des enfants, une vie de famille à laquelle elle sacrifie son amour par sens du devoir.
Avec Thomas, Elizabeth découvre l'art, en particulier Le Caravage et son tableau La Cène à Emmaüs. Après la crucifixion, deux apôtres cheminent vers une auberge. Se joint alors à eux un inconnu qu'ils ne reconnaissent pas jusqu'à ce qu'il partage le pain avec eux. Ils comprennent alors que Jésus sera désormais toujours avec eux, quoiqu'ils vivent et quoiqu'il advienne. Ils vont devoir accepter cette intangible présence, réconfort autant que souffrance. Grâce au cheminement artistique et psychologique d'Elizabeth, David va lui aussi emprunter cette route d'Emmaüs pour apprendre à vivre avec la mort qui l'obsède.

Ce très  beau livre mêle donc l'art et la psychanalyse, dans un long parcours assez lent qui permet au lecteur de suivre l'évolution de McBride. Le personnage d'Elizabeth Cruikshank est particulièrement profond et émouvant. Le lecteur l'écoute gâcher sa vie, elle qui s'aime si peu qu'elle ne peut pas croire à l'amour d'un autre. Comment en effet accepter d'être aimé si on s'en juge indigne ? Il faut s'aimer soi-même un peu, nous dit Salley Vickers pour reconnaître le véritable amour dans les yeux de l'autre.

Si "vivre est en soi un mal incurable", le suicide n'est pas le seul remède à la maladie. Il y a l'Autre, celui que l'on n'attend pas, celui qui écoute et qui voit. Chemin difficile que celui d'Emmaüs, plus terrible encore que celui de Damas car il y a au bout la solitude.

Ys

Extrait :

  Nous ne pouvons rendre heureux quelqu’un qui ne nous rend pas heureux. Pourtant, il est rarement tenu compte de cette équation émotionnelle élémentaire. Le choix du partenaire répond à des raisons souvent obscures, et ce qui passe pour de l’amour est en général une fourre-tout résolument éclectique : luxure, anxiété, complexe d’infériorité, sadisme, masochisme, lâcheté, peur, imprudence, complexe de supériorité, brutalité, besoin de contrôler, élan impératif nous poussant à trouver quelqu’un qui prendra soin de nous et, pulsion dangereuse entre toutes, désir de sauver. Citons d’autres ingrédients plus riants – bonté, compassion, honneur, amitié, sympathie, envie d’aider, aspiration concomitante à être bon -, bien que ces éléments plus affinés puissent souvent causer plus de ravages que les précédents. C’est rarement, très rarement, que deux personnes s’unissent grâce à la joie réciproque que leur procure l’être de l’autre. 


Éditions Lattès - 382 pages