Car c'est bien ce qui embête Eon.
Sa vie est un mensonge qu'elle s'efforce de dissimuler sous peine d'être condamnée à mort. Mais elle est précieuse pour l'Empire : pour elle, le Dragon Miroir s'est montré lors de la cérémonie des Yeux du Dragon. C'était la première fois en 300 ans... De quoi marquer l'événement. Et plus encore, le Dragon Miroir l'a choisie, elle, Eona, une menteuse, une moins que rien, fille de paysan, mutilée à la hanche, ce qui en fait une paria.
Et parce qu'elle a été choisie, elle se retrouve à la seconde place dans la hiérarchie de l'Empire. Avec le privilège d'assister à des cours avec le Prince ou de manger à la table de l'Empereur.
Mais bien sûr, cela ne va pas sans attiser les convoitises.
Et un secret n'est jamais à l'abri. Surtout à la cour des complots.

Que voilà une belle découverte !
Une auteur australienne qui a su m'enchanter et me faire plonger dans son histoire dès les premières lignes. Je me suis retrouvé propulsé dans ce monde qui ne m'est pas si inconnu grâce à d'autres lectures, mais avec une vision qui est bien particulière à l'auteur et j'y ai pris un plaisir immense.

Déjà, lorsque l'on voit l'ouvrage, c'est un superbe objet. La couverture est magnifique, avec des reflets irisés et une image légèrement en relief. Elle attire forcément l'oeil. Et une fois entré dans l'histoire, impossible de faire marche arrière.
Il s'agit d'un ouvrage jeunesse mais qui se lit très agréablement pour les plus âgés aussi. Une histoire de quête d'identité, d'amitié, de loyauté. Certains penseront certainement à la saga d'Eragon mais je vous rassure, ça n'a vraiment rien à voir. L'accent est mis sur le personnage d'Eona, ses peurs, ses choix (j'ai eu plusieurs fois envie de rentrer dans le roman pour l'empêcher de faire certains choix dramatiques. Mais bon, sans ça il n'y aurait pas d'histoire...) et ses erreurs.
Les descriptions de la cour impériale et de l'étiquette qui s'y applique m'ont enchanté. Foin de mots compliqués ou de passages obscurs. Eona étant novice, tout comme nous, tout est expliqué. C'est clair et c'est concis. Rien à dire de ce point de vue.

L'histoire m'a vaguement rappelé La Nuit des Rois de Shakespeare et plus proche de nous dans la fantasy, Les Royaumes de Tobin, de Lynn Flewelling... L'obligation de cacher cette féminité honnie dans un monde qui la rejette. Pire encore, puisqu'Eona doit en plus assumer son infirmité et supporter les quolibets et les injures. Voire les coups. Forcément, le lecteur du XXIème siècle se révolte de ce traitement et attend une réaction de la part de l'héroïne, surtout au vu du pouvoir qu'elle semble posséder.

Ce qui m'a manqué durant ce premier volume est de mieux cerner le pouvoir des dragons, d'en apprécier l'étendue. Surtout celui du Dragon Miroir, décrit comme étant le plus puissant des douze. Mon regret est de n'en pas savoir plus sur le pourquoi du comment. Mais ce sont des questions de lecteur averti, qui viennent après avoir fini le volume. Durant ma lecture, en gros, hum... je devais avoir environ quatorze ans... C'est le genre de lecture qui me fait retomber quelques années en arrière et que je lis justement avec un plaisir décuplé.
Le petit bonus que je n'ai pas encore abordé, c'est qu'en plus d'être un ouvrage superbe et d'avoir une histoire qui tient la route pour un roman jeunesse, c'est une aventure qui est annoncée en seulement deux volumes. Donc ne reste qu'à attendre les quelques mois qui nous sépare de la parution du second volume pour avoir le fin mot de l'histoire.

En résumé, un ouvrage dépaysant qui nous amène dans un univers peu abordé en fantasy mais qui recèle bien des surprises notamment dans la qualité de la rédaction et du scénario. Il n'y a plus qu'à espérer que le second volume réponde aux questions soulevées dans ce premier opus et conclue magistralement cette superbe aventure.
Vous l'aurez compris, je suis définitivement fan !

Du même auteur : Éona et le collier des Dieux

Cœur de chene

Extrait :

Eon vient d'être refusé par le Dragon Rat comme apprenti. Mais la cérémonie n'est pas finie et il doit aller saluer l'empereur.

Une énergie brûlante lacéra ma peau. Une lueur rouge jaillit du miroir, trop vaste pour avoir une forme. La terre se mit à trembler tandis que du sable s'élevait en tourbillonnant et retombait sur l'arène. Ce fut la débandade. Fonctionnaires, spectateurs et candidats paniqués s'enfuirent en trébuchant et en tombant. Devant moi, le miroir était rempli d'une masse ondulante rouge et orange. Je me hissai sur mes pieds en résistant non sans peine à la pression d'un pouvoir accablant.
Les couleurs étincelantes s'écoulèrent rapidement dans le miroir, en un fleuve de feu qui s'immobilisa brusquement. Je distinguai enfin des contours : un museau au dessin gracieux, la courbe d'un naseau. La créature était deux fois plus grosse que le dragon Rat. Puis j'aperçus un oeil. Aussi énorme et rond qu'une roue de charrette, il me fixait du fond de la glace.
Un autre dragon.
Un dragon que je n'avais encore jamais vu.
La vision se remit à bouger en une ondulation vertigineuse de rouge et de jaune, qui s'acheva par le reflet de deux cornes s'incurvant au-dessus d'une épaisse crinière à l'éclat de bronze et d'or. Le dragon remplissait tout le miroir, sans rien laisser voir de l'arène. Une chaleur intense se répandit dans l'air. Derrière moi, j'entendis glisser une masse énorme. Des sillons profonds creusèrent le sable sur ma gauche et ma droite. Tendant le bras à tâtons, j'effleurai des écailles striées, douces au toucher. Je retirai aussitôt ma main. Un arôme suave de cannelle me grisa avant même que j'aie senti un souffle chaud sur mes cheveux. Levant les yeux vers le miroir, je me vis entre les pattes de la bête. Ma minuscule silhouette rouge disparaissait presque dans l'éclat flamboyant de son poitrail gigantesque. Au-dessus de ma tête, l'immense museau s'inclinait, son croc était tout proche. Je me retournai vivement.
Le dragon penché sur moi était bien réel. Je le voyais. Le jeu des muscles puissants. Le motif délicat des écailles cannelées. Le rayonnement doré de la perle sous son menton. Baissant la tête, il rapprocha ses yeux et son regard immémorial me plongea dans la lumière et l'ombre, le soleil et la lune, le lin et le gan. Il était naissance et mort. Il était hua.
C'était le dragon Miroir. Le dragon Disparu.
Il releva sa tête énorme pour m'offrir la perle. M'offrir son pouvoir. Je tendis les mains, en hésitant face à la pulsation profonde de l'énergie émanant du joyau. Une telle quantité de hua brut – quel serait son effet sur moi ?
Un souffle parfumé effleura mon visage, puis la perle se pressa contre mes mains. Elle était imprégnée de la chaleur du dragon et sa surface brillait d'un feu doré criblant ma peau de douces brûlures. J'entendis les murmures incrédules des spectateurs.
Eux aussi le voyaient. Ils voyaient le dragon Miroir me choisir, moi, Eon l'estropié.
Soudain, les murmures devinrent des hurlements. Je détachai à grand-peine mon regard du dragon Miroir. Des hommes pointaient un doigt tremblant, se recroquevillaient sur leurs sièges, s'enfuyaient. Tous les autres dragons s'étaient matérialisés d'un coup au sommet de leurs miroirs. Onze corps massifs aux écailles solides dons les couleurs resplendissantes faisaient paraître ternes les somptueuses soieries des nobles terrifiés. Le dragon Bœuf tendit vers moi une patte violette comme une améthyste, contrastant avec les tons adoucis de sa jambe évoquant les ombres empourprées du crépuscule. Le dragon Tigre inclina sa tête vert émeraude en révélant une épaisse crinière couleur de mousse où jouaient des reflets de cuivre. Je me contorsionnai pour voir les autres, en notant à peine au passage les nuances d'aurore rosée du dragon Lapin, l'orange vigoureux du dragon Cheval, l'éclat argenté du dragon Chèvre.
Ils me contemplaient tous de leurs yeux d'esprit.


Éditions Gallimard Jeunesse - 528 pages