En ce jour d'avril de l'an 1075, le roi normand Roger 1er, tout juste vainqueur de sa conquête des terres Sicilienne occupées jusque-là par les Arabes, doit déjà faire face à un complot. Le prince Omar Ibn Khalid, suspecté de trahison est arrêté et condamné à mort. Sa sœur, Yasmina, convie alors le soir même Roger 1er à sa table; et tandis que ce dernier se régale de mets aux saveurs orientales, Yasmina se transforme en Shéhérazade et lui parle d'amour maternel. Bien évidemment, quand le soleil se lève, Roger 1er encore tout étourdi par la voix de Yasmina et l'excellent souper, sursoit l'exécution au lendemain et accepte de passer la prochaine soirée aux côtés de la belle orientale.

La filiation est ici évidente et totalement assumée. Maruzza Loria et Serge Quadruppani, tous deux traducteurs (l'une en Italie, l'autre en France), ont visiblement pris un grand plaisir à mêler leurs plumes pour nous nous ravir à notre tour. Chacun des sept récits commencent donc par l'annonce du menu thématique que servira Yasmina, et l'intitulé des plats à lui seul transporte déjà le lecteur. De L'Amour maternel à L'Amour parfait en passant par L'Amour courtois, chaque repas est la promesse de saveurs riches et subtiles. Mais Yasmina n'a pas choisi au hasard les différents mets qu'elle propose à son hôte. Chaque recette est liée à une légende qu'elle se fait fort de conter pendant que Roger 1er dîne. De temps à autre, elle interrompt son récit pour détailler le confection d'un plat, les aromates, les senteurs... Et peu à peu, le frustre Roger 1er se fait aussi doux et sucré que la pâte d'amande que lui a préparé Yasmina.
À dire vrai, Roger n'est pas le seul à fondre, et je me suis surprise plus d'un fois à me lêcher les babines tant les auteurs décrivent merveilleusement bien tout ce que la cuisine peut avoir de charnel et de sensuel. Le cahier de recettes en fin d'ouvrage est donc le bienvenu, car loin d'être frustrée de ne pouvoir goûter les mets de Yasmina, je savais que je pourrai ensuite les reproduire (sans le même talent sûrement) et que ma lecture n'était donc qu'une mise en bouche de plaisirs futurs.

Mais ces petites histoires sont aussi l'occasion pour les auteurs de nous rappeler la grande Histoire et l'importance du mélange des cultures. Tout le pourtour méditerranéen est le fruit des diverses conquêtes, parfois violentes, parfois heureuse (comme en Sicile sous le règne de Roger 1er), et la cuisine est sûrement le plus bel héritage de cette mixité créée et transmise au cours des siècles.

Et pour vous mettre en appétit, je vous livre en extrait le premier menu de Yasmina et le passage où Roger découvre les saveurs d'un sorbet offert par la princesse en cadeau de bienvenue.

Laurence

Extrait :

Premier souper
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L'Amour maternel

Crème de fèves au fenouil sauvage
Spitini
Blanc-manger
Panelle
Boule de riz au cœur tendre
Boulettes d'aubergine
Croquettes de lait
Pignolata au miel
Pâte d'amande

D'abord, il y eut la sensation de rafraîchissement : la neige dorée fut pour le palais desséché de Roger comme une bénédiction de la pluie sur la campagne aride.
Ensuite, vint la douceur, celle d'un miel léger, qui n'aurait plus rien de collant mais coulerait au contraire telle une eau fraîche. Une suavité qui glissait au long de la langue et mettait une émotion dans la gorge, comme une envie d'effusions tendres.
Enfin, la saveur surgit.
Piquante et fine comme une peau qui se découvre, enrichie de parfums huilés comme une peau qu'on flaire.
Enivrante mais à peine, comme une peau qui se dérobe.


Éditions Métailié -  205 pages