Parle-moi d'amour pourrait être sous-titrée "Règlement de compte à OK-Corral chez les bourgeois". Monsieur et Madame, milieu aisé, tous les deux dans la cinquantaine. Pas de nom de famille parce que cette scène de ménage puissance 100 peut être vécue un jour par bon nombre de couples. Une vraie tornade blanche ! On fait le ménage en grand. Tout y passe. Il n'y a plus aucune limite, ni respect pour l'amour et les désirs des premiers temps. Plus aucun tabou non plus. Tout est décortiqué : la famille, le sexe, les relations avec les parents jusqu'à la troisième ascendance... l'ambition professionnelle, la chirurgie esthétique, la jalousie, les faux intellectuels, même la bataille sur le nom du chat et le petit personnel immigré et sans papiers et les collègues de travail.

C'est délectable tant c'est bien vu. Les répliques sont sanglantes, sans pitié aucune. C'est enlevé sur un rythme si effréné que l'on en perd le souffle mais on ne veut ab-so-lu-ment pas en perdre une miette. Le lecteur est placé en observateur et il compte les coups. Il est même bien content de ne pas être un des acteurs (au propre comme au figuré d'ailleurs). Cette pièce donne matière à réflexions derrière l'humour vache, revanchard, la mauvaise foi... l'hypocrisie dont fait preuve ce couple à l'image de cette société où l'on vit tous.

En résumé, Amour as-tu du cœur ??

Si vous voulez lire quelque chose qui déménage un maximum, cette pièce est pour vous. D'ailleurs, je vais surveiller si elle ne se joue pas prochainement dans ma ville. Sur scène cela doit être un sacré exercice pour les acteurs !! Une performance qui doit être assez impressionnante à voir ! Bien évidemment, le seul reproche que l'on puisse faire est que cette pièce se vit, se lit trop vite. On en redemande. Mais cela n'est pas si étonnant car les ouragans passent aussi très vite. Seuls les dégâts qu'ils causent sont plus longs à s'effacer.

Voilà encore du beau travail, Mr Claudel.

Dédale

Du même auteur : Parfums, La petite fille de Monsieur Linh, Le monde sans les enfants et autres histoires, Le paquet, L'enquête, Le café de l'Excelsior

Extrait :

Un intérieur bourgeois très design. Soudain la porte s'ouvre, un homme très en colère entre violemment, suivi d'une femme. Tout en parlant, il se débarrasse de son imperméable comme s'il l'étouffait, le jette sur le canapé, desserre son nœud de cravate, lace ses clés de voiture dans un vide-poches.

Homme
Et ce con de Skisistron ! Mais qu'il est con ! Qu'il est con ! Je ne le supporte plus ! Avec son nom à coucher dehors et ses grands airs de type à qui on ne la fait pas ! Ses manières copiées sur je ne sais qui alors qu'il vient d'un milieu de merde, son père était paysan ou quelque chose comme cela, il a été élevé derrière le cul des bœufs, dans le fumier, le lait caillé et les relents de fromage, et aujourd'hui on a l'impression qu'il a grandi avec une cuillère en argent dans la bouche ! Non mais je rêve ! Il vouvoie sa femme, il fait le baisemain à n'importe qui, je parie qu'il te l'a fait à toi aussi, il est toujours d'accord avec Dupuis : « Bien sûr monsieur Dupuis ! » « Évidemment monsieur Dupuis ! » « Excellente idée monsieur Dupuis ! » « Gnagnagna et gnagnagna monsieur Dupuis ! », et tout le monde l'écoute comme s'il récitait des paroles d'évangile ! Je t'ai même vue toi, lui sourire, un sourire appuyé,un sourire qui a duré un temps infini alors qu'il débitait des inepties sur la crise des subprimes et la politique américaine des taux d'intérêt et le pire c'est que tu avais l'air passionné, bordel !!

Femme
Mais je n'écoutais même pas ! Qui me force à aller dans ces dîners débiles où vous êtes tous à trembler devant votre chef de service ?! Kisterone n'est pas le pire !

Homme
Skisistorn !


Édition Stock - 116 pages