Malheureusement pour lui, même son suicide est un échec : sauvé in-extrémis, ses capacités intellectuelles sont fortement endommagés et son existence se réduit à l'espace de son fauteuil roulant. Adi, l'étudiante qui lui a sauvé la vie et à qui il avait légué toute son œuvre,s'installe alors au domicile du professeur pour prendre soin de lui. Décidée à faire sa thèse sur l'œuvre de Pendleton, elle découvre, soigneusement dissimulé dans la cave, un roman inédit. Le Cri est le récit effrayant d'un tueur d'enfant, un homme qui ne croit plus en Dieu. Immédiatement, Adi pressent qu'elle tient dans les mains le chef d'œuvre de Pendleton, et avec l'aide d'Horowitz, elle parvient à le faire publier. Mais quelques semaines plus tard, elle se rend compte que ce récit est loin d'être une fiction...

J'ai beaucoup aimé ce roman, mais peut-être est-il nécessaire de préciser qu'il ne s'agit pas vraiment d'un polar ni d'une enquête sur la création littéraire. En effet, si vous vous attendez en lisant ce récit à une intrigue haletante sur l'origine de ce manuscrit ou sur la découverte du meurtrier, il est fort probable que vous soyez déçus. La vie secrète d'E. Robert Pendleton est avant tout un roman psychologique et sociologique. Mais il est vrai que la quatrième de couverture et les cent premières pages sont assez trompeuses : sur un rythme assez rapide, Michael Collins sème un a un ses indices et quand la deuxième partie - intitulée Enquête - commence, on s'attend à une accélération de la narration. Or c'est tout l'inverse qui se produit. Alors que le point de vue passe de Adi à Jon Ryder (flic chargé des affaires non classées), le rythme devient tout à coup plus lent, et Michael Collins s'attarde sur la psychologie de chacun de ses personnages.

Chacun des protagonistes de ce récit est empêtré dans des problèmes personnels, que Michael Collins détaille longuement. Jon Ryder ne fait pas exception et son enquête est sans cesse court-circuitée par ses problèmes familiaux. Peu à peu, toute la crasse et l'utopie du rêve américain se fait jour dans une région qui semble abandonnée du reste de l'humanité. Vous qui entrez, laissez toute espérance. Voilà qui serait sans doute un bon résumé de l'ambiance qui baigne ce récit. Tout est gris ou noir : les paysages, la météo, les tréfonds de l'âme des personnages, leurs motivations. Si, La vie secrète de E. Pendleton est une critique à peine masquée de l'intelligentsia américaine, Michael Collins n'en oublie par pour autant les autres catégories socio-professionnelles : des agriculteurs aux flics de province en passant par le chômeur chronique, il nous offre un portrait bien sombre de l'Amérique profonde.

La fin de son roman est à l'image de sa narration : pas de solutions toutes faites ou de happy-end, mais une issue en demi-teinte qui laisse libre court à l'imagination du lecteur.

Voir aussi le billet d'Ys qui a été très déçue.

Laurence

Extrait :

Derrière sa fenêtre, Pendleton avait chaud comme dans une serre. Il savait qu'il n'aurait pas dû mettre cette veste de laine pour travailler, mais aujourd'hui il affrontait son ennemi et compagnon d'autrefois à Columbia, Allen Horowitz. Il avait besoin de se dissimuler derrière une façade, celle d'un professeur qui se consacrait à son travail d'enseignant. Si l'isolement était complet à Bannockburn ou, du moins, si l'aveuglement pouvait être maintenu pendant des mois, ces rencontres, ces intrusions de la vie extérieure le brisaient. Les autres professeurs de son département pouvaient publier dans de petites revues universitaires, alors que l'écriture de romans, elle, était dans le domaine public. On attendait une notoriété.
Vous étiez célèbre ou vous ne l'étiez pas.
Allen Horowitz représentait le cauchemar particulier de Pendleton, un type perpétuellement en tête de la liste des best-sellers de fiction du New York Times, auteur de huit romans, quelqu'un qui avait commencé en même temps que lui, autrefois à l'université, quand tous deux avaient des « travaux en cours » qui paraissaient dans les principales anthologies. Ils avaient partagé le même éditeur et le même directeur littéraire, comme deux étoiles montantes, du moins pendant les premières années, jusqu'à la divergence, l'ascension fulgurante d'Horowitz tandis que Pendleton tombait dans l'oubli.


Éditions Points -  448 pages