Dans la France des trente glorieuses, le jeune Michel Marini est un collégien comme tant d'autres : entre deux parties de baby-foot et trois chansons de Jerry Lee Lewis, il essaie tant bien que mal de comprendre ses cours de math. Comme les autres ? Pas tout à fait... D'abord, il est le fruit de l'union improbable de la fille Delauney et de l'ouvrier italien communiste Marini, ce qui ne manque pas d'animer les repas familiaux. Et puis, Michel a deux passions, la lecture et la photographie. Si la première le dévore littéralement (il se définit lui-même comme lecteur compulsif), il est encore timide face à la deuxième. Mais notre jeune narrateur verra son existence irrémédiablement bouleversée par la découverte d'un drôle de club d'échec dans l'arrière salle du Balto, bar où il vient défier le quartier dans des parties de baby-foot acharnées.

Il faut dire que les membres de ce club ont de quoi retenir l'attention : ces hommes à l'accent roulant, ont quitté leur pays, leur famille, leur métier. Reconvertis en taxis, projectionnistes ou chauffeur de salle, ils se retrouvent chaque après-midi pour jouer aux échec et évoquer l'avenir. Le passé ? Ils l'ont laissé à l'Est et il ne faut plus en parler. Petit à petit, Michel réussit à se faire une place dans cette drôle de troupe et bientôt l'arrière salle du Balto lui tient lieu de deuxième maison. Attendris par cet enfant silencieux, les membres du club confient à Michel leur passé : tous ont plus ou moins fui le régime stalinien, chacun à une histoire insolite (parfois belle, souvent terrible).

En entamant ce roman, j'ai été assez déconcertée par le style qui m'a paru terriblement plat. J'aurais tant aimé trouvé de l'ampleur, du relief et du souffle tant dans la forme que dans le fond ; une écriture qui permette au récit de s'envoler et de s'éloigner du simple témoignage documentaire... Mais non, chaque page me ramenait un peu plus vers le sol et je cherchais désespérément cette générosité que j'étais venue trouver. Pour autant, comme l'histoire était intéressante, j'ai laissé de côté mes attentes sur l'écriture pour me concentrer sur le récit proprement dit. Et au bout de 300 pages le charme a finalement opéré. Non que le style change à ce moment-là, mais tout à coup cela n'importe plus, sans doute parce que les personnages de ce roman ont enfin suffisamment de matière pour emporter le lecteur avec eux. Parmi la galerie de portraits que nous propose Jean-Michel Guenassia, deux ont particulièrement retenus mon attention : Cécile et Sacha. Ces deux êtres, amis de Michel mais extérieurs au club, sont complexes et attachants, et j'aurais peut-être aimé que l'auteur leur consacre une plus grande part de son récit. Et il y a tous les autres, Léonid, Victor, Franck, Pierre... tous ont un parcours singulier, romanesque et émouvant.

Maintenant que j'ai fini ma lecture, je me rends compte que j'en garderai sûrement un bon souvenir, car l'auteur dessine une chronique subtile, intelligente et nuancée des années 60. Comme je le disais en amorce de ce billet, Le club des incorrigibles optimistes propose la peinture de toute une époque : on y retrouve pèle-mêle le collège de garçons avec son surveillant général, les débuts du rock n' roll, la guerre froide, Sartre et Kessel, les cinémathèques, le début de la guerre d'Algérie et l'arrivée des premiers pieds-noirs etc... Le portrait est assez fidèle et les papy-boomers devraient y retrouver l'atmosphère de cette époque : un mélange d'insouciance et d'inquiétude. Il y a bel et bien une dimension romanesque dans cette saga et si le démarrage fut un peu long pour moi, je garderai malgré tout en mémoire quelques scènes et personnage inoubliables. Mais je pense que l'émerveillement aurait été total si l'écriture qui porte ce récit ne s'était pas révélée si étriquée. Pour autant, je comprends que ce roman ait déjà séduit nombre de lecteurs, parmi lesquelles ont peut compter quelques blogueurs, comme Amanda ou Clarabel.

Du même auteur : La vie rêvée d'Ernesto G.

NdlR : ce roman a été chroniqué dans le cadre du Goncourt des lycéens. Je vous invite d'ailleurs à lire notre reportage sur les coulisses du Goncourt des Lycéens.

Laurence

Extrait :

Le Balto était un immense bistrot à l'angle de deux boulevards. Sur l'avenue Denfert-Rochereau, côté comptoir et tabac, il y avait les baby, les flippers et le juke-box, et côté Raspail, un restaurant de soixante places. Entre les dernières tables, j'avais remarqué une porte derrière un rideau de velours vert. Des hommes d'âge mur disparaissaient par ce passage. Je ne voyais personne en ressortir. Ça m'intriguait. Je me demandais souvent ce qu'il pouvait y avoir là. Je ne pensais pas à aller voir. Aucun de mes compagnons de baby ne le savait. Ça ne les intéressait pas. Je suis restais longtemps sans m'en préoccuper. Quand il y avait foule et que l'attente était longue, je prenais un bouquin et, sans consommer, je m'asseyais en terrasse au soleil. Jacky me laissait tranquille. Il avait vu ma déception quand Reims s'était fait battre en finale par le Real. Depuis ce jour, il ne me considérait plus comme un client. Le Balto, à cette époque, avec les Marcusot, Nicolas, Samy, Jacky et les habitués, c'était comme une seconde famille. J'y passais un temps fou. Je devais être à la maison avant le retour de ma mère du travail. Je rentrais chaque soir un peu avant sept heures, étalais livres et cahiers sur mon bureau. Quand elle arrivait avec mon père, elle me trouvait en train de travailler. Gare à moi quand elle rentrait avant et que je n'étais pas là. J'arrivais à la rassurer en jurant que je travaillais chez Nicolas. Je mentais avec un aplomb qui me rendait heureux.


Éditions Albin Michel - 757 pages