Ses Cafés instantanés sont autant de scènes, tranches de vies des patrons mais aussi des consommateurs, de ces endroits de passage pour les uns, d'habitudes bien ancrées pour d'autres, lieux de rencontre d'un jour, endroits que l'on ne compte plus, que l'on voit plus sauf si on décide de pousser la porte de l'un d'eux.
Quand on commence une de ces nouvelles, on entre complètement dans l'ambiance des lieux. On devient l'un des personnages. On est entouré par les images, les bruits du percolateur, des pieds de chaises qui raclent le carrelage. On suit les conversations des tables d'à côté ou bien la discussion philosophique sur Qui suis-je ? du Café philo .. sans oublier les silences, les gestes des maîtres des lieux... Tout y est grâce à une subtile écriture très visuelle. Alors on se souvient de son dernier p'ti noir ou breuvage dans l'un de ces lieux. C'était Gare de Lyon en septembre... Tiens, nous aurions pu être les personnages de La Buvette !
Dans ces nouvelles, l'auteur ne dépeint pas uniquement les lieux mais également les personnes qui y vivent, qui viennent le temps d'un moment. On papote entre copines de longue date (Rosebud). On vient se remettre d'une séparation ou d'une mauvaise nouvelle (Le Musée d'Orsay).
On profite d'un moment de calme entre deux cours en suivant les gestes des deux sœurs qui tiennent l'endroit (Le Cirque).
Au Café Daguerre, on profite d'un dimanche pluvieux pour s'octroyer un temps de répit avant de reprendre son rôle de femme mariée avec enfants.
Alors même si je n'ai pas tout compris la nouvelle Le café des anges ou si j'ai passé sans trop m'arrêter sur celle Chez Aline, au style trop elliptique, au rythme trop saccadé pour moi, les autres cafés ont été savourés avec délectation. Le plaisir est court, subtil, aux émotions intenses, comme des instantanés photos, des scènes prises sur le vif. Il ne s'agit que d'un instant plus ou moins long, presque fugace mais on en reprendrait bien encore tant c'est servi avec talent.
Garçon ! un autre s'il vous plait !!
Dédale
Extrait :
Le Cirque
C'est quand elles se sont rejointes, derrière le bar, que j'ai noté qu'elles étaient deux. Tout d'abord étonné, j'ai ensuite, amusé, recherché les différences. L'autre avait les cheveux aussi courts, mais plus clairs. Elle avait aussi l'air plus doux.
Si j'avais connu cet endroit à une autre heure du jour, sans doute m'aurait-il paru différent. Sans doute à d'autres moments de la journée se comportaient-elles autrement, mais le matin silencieusement elles s'affairaient, arrangeaient, préparaient. L'une sortait puis revenait avec des baguettes plein les bras qu'elle rangeait dans une panière de boulanger sous le comptoir. L'autre examinait un carnet dans lequel elle notait quelque chose. Elle essuyait les tasses, les rangeait. Et pendant tout ce temps, elles ne se parlaient pas. Le ballet semblait bien agencé, sans raideur excessive, car pour autant que je peux en juger lors de mes observations régulières, ce n'était pas toujours la même qui effectuait une tâche précise, et l'ouvrage s'accomplissait sans plan défini. J'y venais pour passer le quart d'heure précédant le début du cours, et commandais un crème et une tartine. Je croquais dans le pain frais beurré, et laissais parfois la moitié de ma tasse car le café était trop chaud, et que je n'avais plus le temps de le boire.
J'ai toujours aimé les cafés pour ce qu'ils sont, sans exigence de décor ou de fréquentation, j'aime le temps que j'y passe, temps volé, avant un rendez-vous, entre deux cours, en attendant un train. Souvent pour m'y arrêter je pars en avance, mais sans prendre l'habitude, et changeant même volontairement d'endroit pour garder un caractère anonyme, pour pouvoir flâner sans être reconnu.
Pourtant, chaque fois que j'avais un cours dans ce quartier, je me rendais au café des jumelles. C'est que chaque fois j'avais l'impression d'y venir pour la première fois : ma présence régulière ne les rendait pas plus aimables ou loquaces, c'est à peine si au bout de quelques mois elles me servaient sans me demander ce que je voulais.
Éditions HB - 153 pages
Commentaires
jeudi 29 octobre 2009 à 08h02
Ah la poésie du p'tit noir catalyseur et prétexte à une certaine idée de l'insouciance et de la liberté, la vie même ces instants.
jeudi 29 octobre 2009 à 09h05
Que je regrette les éditions HB !!
Apparemment le catalogue a été racheté cette année, on peut donc peut-être espérer que ces titres feront l'objet d'une réédition.
jeudi 29 octobre 2009 à 22h59
Fsns : exactement
Laurence : pleure pas !! On peut encore dénicher quelques éléments du catalogue chez certains libraires indépendants, passionnés. Heureusement pour nous, lecteurs
Cela permet de patienter pour la réédition.