Un sentiment de fierté
16 des 18 élèves sont ce que l'on appelle de « gros lecteurs » puisqu'ils lisent au minimum 10 romans par an (en dehors de leurs lectures scolaires) et que 4 d'entre eux avouent lire au moins deux ouvrages par semaine. Leurs goûts sont aussi variés que l'offre éditoriale : théâtre, poésie, littérature contemporaine ou classique avec tout de même une nette préférence pour la littérature de l'imaginaire (S.F., Fantastique etc...) et le polar. Mais ce qui est étonnant, c'est que la plupart d'entre eux ne se considèrent pas comme grand lecteur. D'où leur appréhension en apprenant qu'ils devraient lire les 14 romans de la sélection en un temps très court.
Si 30 % d'entre eux n'avaient jusque-là jamais entendu parler du Prix Goncourt (et par là même du Goncourt des lycéens) tous manifestent leur grande fierté à participer à un tel prix. Ils ont la sensation très nette d'être privilégiés mais mesurent également les enjeux d'une telle mission : « juger, analyser, choisir un roman plus qu'un autre. C'est une vrai responsabilité ». Quelque-uns poussent même le débat un peu plus loin et soulignent que n'étant pas payés pour cela, ils ne peuvent être soupçonnés de connivence ou collusion et que c'est sûrement pour cette raison que le Goncourt des Lycéens prend de plus en plus d'importance au fil des ans. Tous sont d'accord pour dire que c'est une très bonne expérience qui ajoute du piquant à un programme scolaire parfois trop sage : « c'est de l'extra-scolaire qui s'insère à du scolaire ».
Lire et critiquer...
Afin de pouvoir mener à bien leur mission, les élèves disposent de 8 séries d'exemplaires qu'ils font circuler entre eux. A la date du 23 octobre, 7 élèves avaient déjà lu au moins la moitié des romans, et bien deux-tiers de la classe pensent pouvoir lire l'intégralité de la sélection d'ici le 06 novembre. Le tiers restant se donne pour objectif de lire au moins 6 ou 7 romans ; seul un élève, irréductible, avoue ne pas même avoir fini sa première lecture.
Mais la lecture ici ne suffit pas, encore faut-il pouvoir émettre un jugement sur les romans sélectionnés. Si la plupart a conscience qu'être en Terminale L facilite l'expérience, ils tiennent également à préciser que leur travail de critique n'a que peu de rapport avec leur cours de lettres : « Ce qui est important, c'est si l'intrigue est captivante, si on ressent de l'empathie », « Ce qui compte c'est notre avis, et pour ça on n'a pas besoin de faire une analyse comme on le ferait pour un commentaire composé ». Malgré tout, ils n'imaginent pas se contenter d'un simple « j'aime » ou « je n'aime pas », soulignent la nécessité de justifier leurs choix et expliquent qu'un bon roman est celui qui réussi à allier style et intrigue : « Si l'écriture est difficile, on n'a pas forcément envie de lire le roman jusqu'au bout, on décroche plus facilement ». « Mais d'un autre côté, il y a des romans où l'écriture est vraiment trop simple, voire fabriquée ».
Pour garder une trace de leur aventure, ils ont ouvert un blog où chacun vient déposer ses impressions sur les romans de la sélection. Quelques-uns de ces billets sont tout simplement époustouflants : on sent déjà chez certains une plume acérée, un regard pertinent et singulier. « Écrire une critique, ça paraît naturel en fait et ça permet de prendre du recul. Mais c'est plus facile si on a aimé ou détesté. »
Naturel ? Peut-être pas tant que ça... Au fil des semaines, ils ont aussi réalisé que lire beaucoup en peu de temps leur a appris à comparer, à être plus exigeants : «Avant, je lisais un roman pour l'histoire qu'il racontait sans faire attention au style de l'auteur... Maintenant lorsque je lis un roman, je me pose plein de question sur ce que veut me faire ressentir l'auteur, et je suis plus attentive au style, au vocabulaire ».
... et partager avec les autres
lls poursuivent ce travail de critique au-delà des murs de leur lycée puisque chaque semaine, ils se retrouvent à la médiathèque de leur ville pour présenter aux usagers 3 ou 4 romans de la sélection. C'est l'occasion pour eux de partager leurs impressions de lecture et d'affiner leur jugement sur la sélection. J'ai eu la chance d'assister à l'un de ces rendez-vous. Ils présentaient ce vendredi-là Les pieds sales d'Edem Awumey, Trois femmes puissantes de Marie N'Diaye, La vérité sur Marie de Jean-Philippe Toussaint et La lumière et l'oubli de Serge Mestre.
Après une présentation succincte de chacune des intrigues, ils mettent en avant les qualité d'écriture, de construction, la richesse des univers mais aussi parfois, les faiblesses de certains récits. Bien sûr, les avis étant souvent partagés, la discussion s'anime : chacun défend son point de vue, argumente, explique, illustre, et les éléments mis en avant sont la plupart du temps d'une grande subtilité et clairvoyance. L'un d'eux parlera ainsi de « l'inconsistance d'un protagoniste secondaire, trop vite balayé par l'auteur » ; une autre soulignera « la fluidité de l'écriture » et « l'approche singulière de l'écrivain ».
Tous s'accordent sur la diversité de la sélection proposée : « C'est très aléatoire : on passe d'un extrême à l'autre. Si la moitié de la sélection au moins a un ancrage historique, il y a aussi des romans témoignages ou des récits très légers. Des style très simples et des écritures beaucoup plus exigeantes ». En fait, ils sont confrontés à des écritures vers lesquelles ils n'allaient habituellement pas et ont découvert la pluralité de la littérature contemporaine française. D'ailleurs, beaucoup d'entre eux se disent séduits et comptent poursuivre leur exploration de ce pan de la production littéraire, quitte à lire un peu moins de fantastique ou de polar.
Au moment où ce billet est publié, il leur reste moins d'une semaine pour finir leurs lectures puisque la classe se réunit le 5 novembre, en conclave, pour élire son trio de tête et son représentant au délégation régionale. Réunion à laquelle j'aurai la chance d'assister puisqu'ils m'ont très gentiment invitée à être spectatrice de leurs délibérations. Rendez-vous donc samedi prochain pour le troisième épisode des coulisses du Goncourt des lycéens.
Laurence
Les autres épisodes :
1- La rencontre régionale avec les auteurs
3- Les lycéens du Vigan en conclave...
4- L'heure des bilans
Commentaires
samedi 31 octobre 2009 à 08h40
Si cela les pousse dans l'avenir à lire en devenant exigeants, pari gagné mais il faut se méfier et attendre. Ce qui serait intéressant en fait serait de retrouver ces enfants dans 5 ou 10 ans et voir où ils en sont.
Dans la sélection, je n'ai lu que le Toussaint et j'ai été déçue - peut-être avait-il pour moi mis la barre trop haut avec ses précédents que j'ai dévorés. Là, j'ai vraiment eu le sentiment que l'auteur s'était fait plaisir à écrire, tout en me laissant sur la touche. J'ai lu, jusqu'au bout, je reconnais de très beaux passages mais l'ensemble est inégal et une fois le livre refermé, ne me reste pas grand chose...
samedi 31 octobre 2009 à 09h50
Quelle belle expérience, vraiment, lire la sélection, rencontrer les jeunes lecteurs, partager avec eux. Je ne suis pas étonnée de la réaction des lycéens ( j'aurais adoré à leur âge :), c'est sympa qu'ils aient ouvert un blog. Et je dois bien l'avouer, le choix du Goncourt des Lycéens est bien le seul prix qui ne m'a jamais déçu !
samedi 31 octobre 2009 à 12h03
Pascale : je suis du genre optimiste, alors je me dis que ce qui existe ne peut jamais totalement disparaître. Hiberner pour un temps, peut-être.
Emmyne : tu verras, certains des articles de leur blog sont vraiment de grande qualité. Je tiens d'ailleurs à préciser que leur professeur n'intervient absolument pas dans la rédaction de leurs articles.
dimanche 1 novembre 2009 à 11h51
J'aime beaucoup suivre ce feuilleton du Goncourt des lycéens sur ton blog. Ce qui m'étonne c'est tout de même cet élève de terminale L qui peine à lire ne serait-ce qu'un seul roman de la sélection ! Bon je vais aller voir leur blog maintenant...
lundi 2 novembre 2009 à 13h30
Voilà une expérience qui donne le sourire et annonce un avenir pour la lecture plus rose qu'il n'y paraît.
lundi 2 novembre 2009 à 15h39
Je te remercie Laurence pour tes compte-rendus très exacts et ton témoignage sur la classe de TL du Vigan, dont je suis le prof de lettres. Oui, il faut sortir des idées reçues sur les élèves : il y a parmi les élèves d'excellents lecteurs, pertinents, ayant une vraie personnalité de lecteurs. Les élèves, comme tu le dis, sont très conscients de leur rôle et de l'enjeu du prix Goncourt des lycéens.
Un petit regret cependant : malgré tout l'enthousiasme d'une quinzaine d'élèves,et de toute l'équipe autour d'eux, d'autres (4 ou 5) semblent blasés, déjà ! (mais ils le sont peut-être en général dans la vie...)
lundi 2 novembre 2009 à 18h25
levraoueg : merci ! C'est également un grand plaisir pour moi de les suivre, et il me tarde de jouer la petite souris jeudi matin.
In Cold Blog : qui a dit que nos jeunes ne lisaient plus ?
Christian : merci également de m'avoir donner la possibilité de les rencontrer. Leurs approches, leurs remarques, leurs réflexions m'ont enrichie et je suis vraiment très heureuse de cette expérience. 4 ou 5 élèves blasés? Vraiment? Ce n'est pourtant pas ce qui est ressorti de la discussion et des papiers qu'ils m'ont rendu. Peut-être ne sont-ils pas aussi enthousiastes que tu pouvais l'espérer, mais je ne crois pas non plus qu'ils soient "blasés"; le terme me paraît un peu fort. Enfin, nous verrons ça jeudi.
mardi 3 novembre 2009 à 13h34
belle expérience et merci de nous la faire suivre par blog interposé
mercredi 4 novembre 2009 à 15h16
Avec grand plaisir Lhisbei