Il me faut vous prévenir de suite. Le Chemin des âmes de cet auteur canadien aux origines indiennes, Cree pour être plus précise, est une merveille. Quand vous commencez ce roman, vous entrez dans un récit superbe au tempo calme, posé et allant toujours de l'avant même dans les moments les plus intenses.

J Boyden nous raconte l'histoire de Xavier et Elijah, deux indiens crees engagés volontaires pour combattre les allemands dans les tranchées en Belgique et en France. Le Chemin des âmes, c'est le récit de deux indiens, chasseurs et tireurs d'élite plongés au milieu de l'enfer et des blancs. C'est aussi la vie de Niska, la tante de Xavier, rebelle depuis toujours à la vie des blancs qui envahissent ses contrées ancestrales.

1919, au nord de l'Ontario. Niska, vieille indienne attend sur le quai d'une gare le retour d'Elijah, l'ami d'enfance de son neveu. Selon les informations dont elle dispose, il est le seul à avoir survécu à cette monstrueuse guerre de tranchées. Pourtant, l'homme qui descend du train, amputé d'une jambe n'est autre que son neveu, seul membre de sa lignée encore vivant. Xavier est de retour mais ce n'est plus qu'une ombre, un fantôme.

Au fil de l'eau dans le canoë les ramenant vers les terres qu'ils ont toujours connues, où ils ont vécus selon les traditions ancestrales, Xavier et sa tante revivent leur passé. En plusieurs aller-retour et croisements de récits, l'auteur nous présente ces deux personnages, leurs vies, les souffrances qu'ils ont connues, les liens qui les attachent à leurs traditions, l'amitié profonde entre Xavier et Elijah, les discriminations subies par les indiens Cree tant dans leur pays qu'en Europe sous les bombes et les gaz mortels.

Je ne veux pas entrer dans le détail de ce roman car ce serait vous gâcher l'immense plaisir de la découverte, le bonheur de marcher auprès de Xavier ou de Niska dans la neige alors qu'ils chassent l'orignal. Ce serait se priver de l'enfance de Niska, rebelle aux religieuses qui tentent de la convertir de force à la nouvelle religion et au mode de vie des blancs. Leur traitement inique pour mater cette sauvage qui ne leur cède sur rien. Niska est née indienne cree et elle le restera.

Je ne veux rien vous dire de plus car ce serait perdre les émotions qui vous clouent sur place et vous font passer des nuits blanches tant vous ne voulez pas quitter les personnages d'une seconde.

C'est la tristesse aussi de voir en quelques secondes ces hommes mourir alors qu'à l'instant d'avant vous leur offriez une cigarette.

Je crois que déjà, il s'entretient avec l'esprit qui l'emmènera sur le chemin des âmes, celui qu'on met trois jours à parcourir.

Le besoin est grand de rester avec ces hommes tiraillés entre l'obligation de tuer pour ne pas être tués et cette peur immense, insondable qui les broie.

Chacun se bat sur deux fronts à la fois, l'un contre l'ennemi, l'autre contre ce que nous faisons à l'ennemi.

De quoi devenir fou !! Même la médecine des blancs (la morphine) ne peut rien pour lutter contre les douleurs, les poux, la peur tenace, le mal du pays, les ordres absurdes, les horreurs de la guerre, ces tranchées : ce lieu étrange où confluent et explosent tous les malheurs du monde.

Et comme le dit Elijah, jeune homme brillant et un peu tête brûlée : La folie, c'est d'abord de nous envoyer aux tranchées. La folie, c'est de nous apprendre à tuer ; c'est de récompenser ceux qui le font bien. Moi, je veux seulement rentrer en un seul morceau.

Vous l'aurez compris. C'est lumineux, extrêmement bien écrit, pas un mot de trop, toujours sur le ton juste, digne des meilleurs récits épiques. Les personnages principaux comme tous les autres d'ailleurs sont superbes, criant de vérité, d'humanité.

Le Chemin des âmes est un magnifique hommage à tous ces canadiens, indiens ou pas, engagés volontaires pour se battre en Europe. C'est aussi un pertinent et intelligent plaidoyer pour le respect des différentes cultures.

À lire, à relire encore et encore. À offrir au plus grand nombre.

Du même auteur : Là-haut vers le nord

Dédale

Extrait :

Je m'imagine déjà la raconter, mon histoire, raconter comment je me suis retrouvé parmi ces wemistikoshiw tout nus, avec leur derrière velu, bavardant au soleil pendant qu'une machine nettoyait leurs habits pour eux.
Je dirais aux anciens les choses étranges que j'ai vues, les aéroplanes qui montent très haut dans le ciel pour se mitrailler l'un l'autre, et les cadavres, tant de cadavres autour de nous qu'on ne les voit même plus gonfler sous la pluie, et cette rumeur à propos de petites bombes, pleines de gaz empoisonné qui brûle la gorge et les poumons, si bien qu'on s'étrangle et qu'on meurt dans de terribles souffrances, et les patrouilles, la nuit, quand on se faufile comme un renard pour aller réparer des fils de fer et nettoyer les cratères ennemis, et les obus, qui arrivent en sifflant de nulle part, un beau matin, pour arracher les bras, la tête, les jambes de l'homme auquel vous parliez la veille. Mais surtout, je dirai aux anciens comment, après un bombardement, la vie reprend son cours ordinaire, presque aussitôt, comment l'esprit ne tolère pas qu'on s'attarde sur l'horreur de la mort violente, car sinon l'on deviendrait fou. Et c'est pour cette raison qu'ils sont là, debout par petits groupes, à bavarder tout nus sans se soucier des filles de ferme belges qui les regardent de loin en gloussant, je dirai comment ils allument une cigarette les doigts encore sanglants du soldat qu'ils viennent d'enterrer, comment ils peuvent exulter quand un homme, dans son aéroplane, plonge à sa mort après avoir été criblé de balles. Comment ils peuvent accepter, sans ciller, l'exécution d'un des leurs, pour s'être assoupi durant le guet. Moi, je garde la tête sur les épaules en faisant des choses simples, les choses que mon corps sait faire.


Le livre de Poche - 471 pages