On suit cette femme dans ses déambulations entre les restes de bâtiments à la recherche de nourriture, d'eau à peu près potable, d'un lieu où se reposer en sécurité. Ce sera une cave sans lumière, pleine de poussière et d'humidité. Mais elle est à l'abri, notamment de cette poussière de cendres qui recouvre et tue tout. L'auteur égrène peu à peu les souvenirs de cette femme en quête dont on ne connaîtra même pas le nom. Mais peu importe finalement, les retours à sa vie d'avant la catastrophe nous dressent un portrait plus juste qu'un simple nom. L'auteur nous mène dans les pas, les pensées, les efforts de la narratrice pour durer, encore durer jusque-là. Jusqu'où ?
Dès les premiers souvenirs, on sait que la vie n'a pas été tendre avec elle. Ce sont les moments passés avec sa mère et sa demi-sœur dans un immeuble sordide et dans une pauvreté extrême, ou ceux chez sa tante gravement malade puis chez l'oncle qui la recueille. Il y a aussi toutes ces frayeurs qui marquent une vie grandissante : les champs de lavande au parfum bleu qui envahit tout, l'immense lit trop grand pour une enfant encore si petite et délaissée. Puis à l'âge adulte, ce sera un amour empêché, et un autre homme qui a failli être son mari... le passage à l'état d'adulte. Initiations. Échecs et le glissement vers une vie sans amour pour soi, sans amours des autres... Un jour, ce sera la catastrophe, les atrocités des "anéantisseurs", la mort présente partout.
Ce qui sauve l'enfant puis la jeune femme c'est le jeu des visions - apparaître-disparaître... imaginer que les choses se passent ou disparaissent pour oublier l'ennui ou quelque chose de désagréable.
.. forte de ce pouvoir, je me mets à croire que je peux créer un monde contre le monde qui me dévore. Le temps m'apportera des désillusions mais la vie gagnera en légèreté évitant que par elle je périsse piétinée.
Mais cette femme est forte moralement. Elle l'a toujours été et c'est ce qui fait qu'elle ne soit pas tombée dans la folie dès l'enfance, que sans jamais pleurer elle ait encaissé tant de tourments physiques, affectifs. Une volonté féroce la maintient en vie, une volonté d'en finir avec les catastrophes. Car comme elle le pense souvent : Il y a tant de beauté dans le monde
.
L'arrivée du printemps, de la vie plus forte que tout au milieu des ruines et les cendres... la rencontre fortuite avec un enfant tout aussi solitaire, abandonné, blessé qu'elle et l'espoir d'une autre vie revient.
On pourrait croire que cette histoire n'est qu'un roman d'anticipation, mais c'est surtout un roman d'apprentissage. Apprentissage durant l'enfance, de la vie adulte et celle des amours. Avec une langue juste, sans jamais se perdre dans le pathos ou la facilité larmoyante, l'auteur dresse un portrait de femme réaliste, superbe et plein de force. Voilà un portrait de femme, une incarnation d'une volonté qui lutte toujours pour être debout. Car il faut durer jusque-là. Jusqu'au renouveau.
Dédale
Extrait :
Nous nous attendons au pire et il arrive, car c'est le propre de l'homme que de rendre le pire possible.
Il a pleine confiance en moi. Bientôt, il me fait une confidence qui nous unit mieux que tous les serments.
L'automne embase la ville. Dans quelques semaines, elle se recroquevillera sous le ciel mat et froid. Avant de me calfeutrer moi aussi pour l'hiver, je me promène dans les jardins publics où je respire l'odeur humide des feuilles et de la terre. Je goûte cette saison flamboyante et triste, moins prétentieuse que l'été. Je sens une certaine sérénité m'envahir, c'est ma saison. Une pluie de marrons tombe sur les trottoirs, j'en ramasse un et le glisse dans ma poche : il me protégea tout l'hiver des maladies. Soudain, j'aperçois mon Amour dans la rue. Il se tient sur le trottoir opposé, sous un porche. Il serre contre sa poitrine une grande enveloppe bleue. Il regarde droit devant lui mais ne me voit pas agiter la main dans sa direction. je traverse la chaussée et le rejoins. Un mauvais pli barre son front. Sur le mur au-dessus de lui est fixée une plaque : Dr Lievin, Cardiologue. Il sort de chez le cardiologue. Il est malade du cœur. Du cœur !
Il m'invite à boire quelque chose dans un salon de thé tout proche. Ses doigts sont crispés sur l'enveloppe. A moi, il le dit. Il a besoin de le dire. Il me fait promettre de ne rien révéler à personne, surtout pas à sa femme. Le soleil s'est levé entre les marronniers oranges. Quelle joie ! une lumière dorée scelle notre union. Je touche sa main pour le réconforter, la presse, sens ses phalanges s'enfoncer dans ma paume. Je lui glisse le marron dans la main. Il le protégera. Nous partageons un secret. Il souffre du cœur. Nous partageons un secret.
Éditions HB - 133 pages
Commentaires
mardi 10 novembre 2009 à 12h08
C'est noté : l'extrait me plait, autant que ce que vous en dites ! Suis convaincue
mercredi 11 novembre 2009 à 09h44
J'en suis ravie, Cjeanney
Bonne lecture.