J'ai lu ce court roman sans avoir vu le film d'Alain Corneau. Je savais seulement que dans ce film, on pouvait entendre la musique de Marais, célèbre pour son œuvre pour viole de gambe, mais aussi pour ses tragédies en musique — je ne connais que Sémélé. Je m'attendais donc à lire une biographie romancée de Marin Marais.

À vrai dire, le personnage principal du roman est Monsieur de Sainte Colombe, auprès duquel Marin Marais va se perfectionner dans l'art de la viole après avoir été remercié par le chœur de garçons où il chantait jusque là, sa muante voix n'étant plus à la hauteur.

Ce livre est un court roman. Les courts chapitres se suivent, laissant entre eux des ellipses de longueurs variées et largement inconnues du lecteur. C'est avec une grande économie de mots que l'auteur installe ses personnages. Ainsi, tout est dit en peu de mots, mais bien dit, quoique souvent non sans ambiguité, dans un style volontiers poussiéreux. Des vestiges d'un vocabulaire oublié s'y glissent — il est recommandé de lire ce roman avec un dictionnaire à portée de main.

Bien sûr, la musique est au cœur du roman. Sainte Colombe accueille fraîchement le jeune homme dont il dit Vous faites de la musique, Monsieur. Vous n'êtes pas musicien.. Pourtant, il l'acceptera comme élève. Il l'éveillera à l'univers des sons. Alors que le vent siffle, il lui crie : Vous entendez, Monsieur, comment se détache l'aria par rapport à la basse..

Malgré les sentiments qu'il éprouve au souvenir de sa femme décédée, Sainte Colombe peut paraître froid et austère. S'il n'est peut-être pas tout à fait misanthrope, il fuit les honneurs de la cour. C'est d'ailleurs l'objet d'une violente dispute avec Marais. En effet, malgré le faible nombre des années, ce fils de cordonnier sera bientôt engagé par le roi. En arrière-plan, on trouvera des allusions aux sympathies jansénistes de Sainte Colombe.

Parmi les autres références plus ou moins explicites, on lira des extraits de Britannicus de Racine ou encore un ekphrasis du tableau Nature morte à l'échiquier de Baugin — cette dernière référence est d'ailleurs anachronique, vu que le peintre était mort depuis presque dix ans quand Marais devint l'élève de Sainte Colombe.

Si ces références peuvent facilement passer derrière et agacer, il est difficile de faire la fine bouche à propos d'un livre aussi bien écrit et qui n'occupera pas le lecteur pendant plus de deux heures.

Du même auteur : Le nom sur le bout de la langue.

Joël

Extrait :

Monsieur de Sainte Colombe arrêta son disciple en lui prenant le bras : devant eux un petit garçon avait descendu ses chausses et pissait en faisant un trou dans la neige. Le bruit de l'urine chaude crevant la neige se mêlait au bruit des cristaux de la neige qui fondaient à mesure. Saint Colombe tenait une fois encore le doigt sur ses lèvres.

« Vous avez appris le détaché des ornements, dit-il.
— C'est aussi une descente chromatique, rétorqua Monsieur Marin Marais.

Monsieur de Sainte Colombe haussa les épaules.

« Je mettrai une descente chromatique dans votre tombeau, Monsieur.

C'est ce qu'il fit en effet, des années plus tard.


Éditions Folio - 117 pages.