Une fois n'est pas coutume, je vais reprendre le texte de la quatrième de couverture. Parce que sinon, je vais être tentée de vous raconter toute l'histoire et franchement ce serait gâcher le plaisir de la plongée dans l'univers si particulier de Brussolo. Je vous laisse vivre les plongées dans le monde des rêves avec David, travailleur artistique. Elles valent vraiment la peine de les faire en solo.

David est un chasseur de rêves. Quand l'appel des profondeurs se manifeste, il s'enfonce au coeur du sommeil pour en rapporter d'étranges objets que se disputent les collectionneurs, quand ce n'est pas l'Etat qui passe commande.
Dans le monde réel où les arts ont disparu - un monde crée de toute pièce par l'auteur, évidemment - David est un fonctionnaire lambda. En rêve il mène la vie beaucoup plus excitante, passionnante, dangereuse d'un cambrioleur de haut vol. A chaque plongée, les coups pour remonter des trésors sont de plus en plus risqués. Les cauchemars peuvent sous surprendre à tout moment.

Pour l'administration et les psychologues, le monde d'en-bas n'existe pas. Il n'est que pur produit de l'imagination des rêveurs.

Ne dites pas rêve. [..] C'est une définition impropre et stupidement sentimentale. Il ne s'agit pas d'un rêve mais d'une production ectoplasmique matérialisée par un médium endormi à partir d'une image onirique hantant son cerveau. Le rêve vous a permis de créer cet objet en stimulant votre imagination, c'est tout.

Et bien, pour ma part, je trouve cela pas mal.

Pourtant ! Et si on pouvait vraiment passer la frontière du sommeil et nager dans le monde des rêves ? Mais à plonger dans ce monde mystérieux, David ne risque-t-il pas d'être atteint par le syndrome du scaphandrier ?

C'est comme ça qu'ils appellent le besoin de redescendre. Ils prétendent que les plongeurs accro souhaitent en réalité s'endormir au fond et ne jamais remonter.

Voilà pour les grandes lignes. Je vous laisse découvrir l'étendue de l'imagination sans bornes de l'auteur où les œuvres d'art, les tableaux ont une vie personnelle. Difficile de ne pas être touché par la description de la disparition violente des toiles de maîtres (voir l'extrait). Difficile de ne pas être ébahi par le monde onirique où l'auteur nous emporte avec tant d'aisance. Toute l'histoire est si bien amenée, si cohérente qu'il est difficile de ne pas plonger avec David. A moins que l'on n'ai pas su trouver le passage sur cette frontière entre les deux mondes.

Je vous laisse également apprécier les idées de l'auteur quant à l'art et la façon de l'appréhender. Une oeuvre pour une œuvre, ou pour le bien psychique qu'elle peut apporter ou juste pour sa valeur marchande ? Quid de l'état d'artiste. Un artiste ne peut-il être compris que par un autre artiste ? Et que répondre à cette question : les rêves sont-ils aussi inoffensifs qu'on le prétend ?

Le seul reproche que l'on pourrait faire à cette histoire est que pratiquement tous les personnages sont loin d'être pleinement heureux. Mais peut être est-ce le propre de ce monde-là, privé d'art et de rêves, que d'influer ainsi sur les gens qui le peuple ?

C'est une lecture époustouflante, bien trop courte, que nous offre l'auteur. Me voila atteinte du syndrome Brussolo. Et je crois que cette nouvelle maladie me plaît bien.

Bonne lecture et faites de beaux rêves.

Dédale

Extrait :

David franchit le contrôle en exhibant sa carte tricolore de travailleur artistique et se faufila dans le labyrinthe des couloirs humides conduisant à la zone médicale. un médecin ensommeillé, aux joues bleuies de barbe, lui fit subir les tests d'usage en bâillant, un mégot mouillé de salive planté au coins de la bouche. Le dernier encéphalogramme enregistré, David s'éclipsa pour s'enfoncer au coeur du bâtiment. les corridors aux cloisons rapprochées, au plafond terriblement haut, paraissaient avoir été construits pour des êtres très grands et filiformes. "Des personnages sans épaisseur, songea-t-il. des silhouettes capables de se glisser dans la fente d'une boîte aux lettres." Il remonta la galerie à pas lents, se demandait si c'était par là qu'avaient fui les grandes figures peintes des tableaux géants jadis exposés dans la salle d'honneur. Il imaginait sans peine les personnages à deux dimensions se détachant des toiles, enjambant les cadres dorés et s'en allant honteusement, tête basse, luttant contre les courants d'air. C'est par là qu'elles étaient parties pour l'exil, l'oubli, par cette sortie des artistes au bout de laquelle les attendait la terrible lumière du soleil. Une lumière qui allait dévorer leurs couleurs jadis protégées par une pénombre soigneusement étudiée. Elles étaient parties, les unes après les autres, au fur et à mesure que la peinture devenait une activité obsolète, dérisoire, dont se détournait le public. Les paysages, les sacres, les grandes batailles, les descentes de croix, les allégories, s'étaient vidés des leurs sujets, de leurs foules, de leurs nymphes. Seuls les objets, les arbres étaient restés figés sur la toile, trop bêtes pour se rendre compte que leur heure de gloire était passée. Ou trop orgueilleux pour l'envisager. A peine sortis du musée, les figures n'avaient plus su que faire, elles s'étaient mises à tourner en rond, cédant aux poussées des bourrasques. Celles dont le vernis était encore intact avait bien résisté à la pluie, les autres avaient rapidement commencé à moisir, à se défaire. Pour résister au vent qui soufflait sur l'esplanade, elles s'étaient entortillées autour des bancs, grands oriflammes claquantes aux jambes nouées. le soleil s'était alors acharné sur elles, pâlissant leurs couleurs, rôtissant les vernis, durcissant les fibres des vieilles toiles.


Éditions Folio SF - 188 pages