Le Prix du jeune écrivain récompense chaque année une oeuvre d’imagination inédite, en prose (nouvelle, conte, récit), de 5 à 25 pages, de jeunes auteurs de nationalité française (7 prix) et francophone (6 prix), qui ont entre 15 et 24 ans révolus et qui n’ont jamais été édités. Chaque candidat ne peut envoyer qu’un seul texte. Les textes pré-sélectionnés sont soumis à un jury tournant, composé d’écrivains et de critiques littéraires.

Tel est le contexte général de ce recueil. Venons en maintenant aux nouvelles lauréates.

C'est la nouvelle Il déserte d'Arthur Dreyfus qui ouvre le bal. Une nouvelle pleine de nostalgie et musicale. Le personnage principal et narrateur est un virtuose du violon. Dans un style sobre et élégant, ce texte aborde l'illusion amoureuse, interroge sur la source de l'inspiration, l'amitié et de l'amour. Des mots choisis pour leur douce musicalité et cette part de rêverie, de détachement. Quand l'inspiration revient grâce à un hippocampe, "Un petit être immobile (...) d'un bleu magnifique, entre le cobalt et le canard, ou curaçao."

Photo finish est la nouvelle lauréate pour la francophonie. Florian Ngimbis, camerounais de 25 ans nous offre là un véritable coup de point. Sur un ton proche de la mélopée, il nous parle de ces populations africaines qui ne semblent connaître que la guerre, les atrocités, la peur et la fuite dans les traitresses forêts. La mort est partout. Son plus horrible visage est certainement celui d'un de ces enfants soldats. La fièvre, la colère de l'écriture de F Ngimbis emporte le lecteur qui ne peut rien contre cette vague de peur, de violence pure tant il est captivé... jusqu'au choc final. Il claque comme une balle assassine. Là, votre coeur s'arrête.

Les thèmes abordés par les treize nouvelles de ce recueil sont la violence, la folie avec Sereins et décidés de Yacine Benelhadj, l'Afrique encore dans Pic... Nic.. Douille de Justine Lalot, la souffrance des femmes, la famille et les liens entre ses membres comme dans Sans histoire de Floriane Olivier, si poignante et pleine de désolation portée par une écriture scandée, névrosée. C'est encore avec Trois petits hommes et Nine de Constance Lefevre où la vie n'est pas toujours si rose malgré l'amour qu'un grand-père, un petit frère et une jeune femme se portent l'un l'autre.
Dans la veine fantastique, il faut noter l'étonnante nouvelle Le trousseau des souvenirs où l'auteur Thimothée Gaudin (16 ans) nous raconte la résurrection du Christ, enfin, un clone de Jésus Christ. Idée surprenante à souhaits et très bien menée.

Le point commun entre toutes ces nouvelles est que le style est toujours très maîtrisé, juste, jamais un mot de trop et surtout elles sont toutes d'une tonalité très sombre. Est-ce l'époque qui veut cela ?

Bien sûr, comme à chaque fois avec des nouvelles, on entre plus ou moins bien dans l'histoire, le sujet choisi, mais ici, le travail d'écriture sur les personnages, les lieux ou une idée, ancrée dans le réel du quotidien ou plus portée vers le fantastique, l'insolite, est toujours de qualité. Cela en est époustouflant !

Chapeau bas à ces auteurs en herbe ! A suivre absolument et à lire avec ces nouvelles de qualité indéniable en attendant leur premier roman. Vite, vite.

Dédale

Extrait :

Trois petits hommes et Nine

« Et avec saucisse ? » demande le boucher avec son sourire grand comme un steak.
Le boucher ressemble à une tranche de jambon. Tout rouge et dégoulinant. Et il fait toujours la même blague, avec sa saucisse. Ça me fait plus rire depuis longtemps, mais bon, je souris quand même parce que je suis bien élevé.
Maman voulait des tournedos, comme tous les dimanches soir. Il paraît que c'est pas tout le monde qui mange des tournedos, et pour ça, il faut remercier le Seigneur. Maman remercie tout le temps le Seigneur, ça fait lever les yeux au ciel à grand-père, qui demande ce qu'il a fait au bon Dieu pour que sa fille croie en Lui. Ma soeur Nine m'a expliqué que les tournedos ne venaient pas du Seigneur, mais du boeuf. D'après Nine, le porte-monnaie de maman est plutôt anorexique – ça veut dire maigre je crois – alors c'est elle qu'il faut remercier de nous acheter quand même des tournedos.
Maman affirme qu'il n'y a que deux choses importantes dans la vie : l'aspirateur et la machine à laver. Maman aime les crèmes brûlées et déteste la poussière. Elle a les rides qui commencent à pousser, elle achète des pommades pour les faire disparaître, mais apparemment, c'est une arnaque.
Bon. Je suis à la boucherie-charcuterie, juste en face de la maison.
« Et avec saucisse ? »

Photo finish

Le repas est achevé. Les adultes se sucent les doigts pour décoller les derniers grains de riz. Les enfants lèchent les gamelles et raclent les marmites ayant servi à la cuisson, dans un concert de grincements métalliques. Personne ne pense à les gronder, le coeur n'y est pas. On songe déjà à la forêt qu'il va falloir réintégrer. Le temps d'une brève immersion dans la civilisation, ils ont réappris à la détester. Le temps d'un repas, elle est redevenue l'ennemie d'hier.
Ils ne sont pas tous morts au village. Ceux qui n'ont pas été tués ont été emmenés. Les hommes pour travailler comme esclaves, les femmes comme exutoires sexuels des corbeaux verts et les enfants comme soldats. Ces enfants sont plus cruels que les corbeaux verts. Ils savent que leurs parents sont dans la forêt et ils aident les assaillants à les dénicher et à les tuer. Endoctrinement ? Peut-être. Mais on dirait, à voir l'acharnement qu'ils mettent à les retrouver, qu'ils voudraient les tuer pour éliminer les derniers liens avec un passé qu'ils souhaitent oublier. Ils sont eux aussi dans la forêt tous les jours, bêtes malfaisantes, proies devenues prédateurs, herbivores nourris de sang et qui cherchent par la violence à justifier un état contre nature. Ils sont plus tenaces que les corbeaux verts, plus violents et plus féroces également. L'enthousiasme qui leur permettrait de jouer toute la journée s'est transformé en un instinct meurtrier qui attise leur envie de meurtre. Tout cet amour, qui les caractérisait jadis et qu'ils savaient si bien rendre, s'est transformé en une haine implacable. Ils sont devenus des assassins, mais, pire, ils sont restés des enfants.


Éditions Buchet-Chastel - 309 pages (340 avec les informations sur le prix)