Le malfini, un grand rapace sûr de lui et de sa force, vit dans un lopin de terre appelé Rabuchon. Il y côtoie tout un petit monde : des oiseaux surtout, mais aussi toute une série d’insectes et de fleurs variées. Parmi ses oiseaux, deux partagent avec le malfini la première place dans ce livre : deux colibris, deux demi-frères, un dénommé « Colibri » - chef de Rabuchon – et « Foufou » - un colibri étrange qui va se révéler un véritable sage pour tous ceux qui apprendront à le comprendre.

Est-ce l’ombre du grand Aimé Césaire qui plane au dessus de Rabuchon ? Aimé Césaire, lui qui s’étonnait à propos du colibri qu’« un corps si frêle puisse supporter sans exploser le pas de charge d’un cœur qui bat ».
On se surprend vite à un attachement à cette petite communauté de Rabuchon : ce malfini à qui on peut s’identifier dans son désir de comprendre, ce colibri chef qui défend ses troupes vaille que vaille et qui voue une haine indéfectible à son frère, ce « Foufou » plus sage que tous, mais qui reconnaîtra bon gré mal gré l’importance de celui qui se veut le plus humble de tous.

Est-ce un roman initiatique ou une fable écologique ? Ce roman foisonnant se lit à plusieurs niveaux. A voir le rôle des « Nocifs » - les humains – et le rôle du « Foufou » qui butine les fleurs pour qu’elles essaiment dans toute la contrée, on peut pencher pour le plaidoyer écologique, où toute vie est relayée aux autres : de la fleur à l’insecte, de l’insecte à l’oiseau et de l’oiseau … au nocif – si ce lien n’est pas rompu définitivement.

Mais on peut aussi lire autre chose au travers de ce rapace qui apprend à réformer sa nature, à maîtriser sa violence, son Alaya, sa nature de bête féroce, en observant le petit colibri, ce « Foufou » qui agit avec une grande sagesse – une sorte de Jésus Christ ? de Gandhi ? d’Illuminé ? : on peut lire un vrai traité d’apprentissage de la non violence ou un conte initiatique zen qui nous apprend que, selon la formule de Edouard Glissant « Rien n’est vrai, tout est vivant ».

Comme dans tous les grands textes, il y a encore de multiples autres lectures possibles. Familier de la métaphore, on peut y voir celle d’un conte atemporel qui prend naissance dans les racines de l'histoire où la faune devient une allégorie pour remplacer conquérants et conquis, maîtres et esclaves, dominants et dominés. Qui sont en effet ces féroces qui déciment tout par plaisir et laissent une terre dévastée derrière eux ? On ne peut pas oublier les origines créoles de l’auteur de Texaco et son engagement militant qui transparaît fatalement. Et le cyclone qui menace l’environnement peut s’entendre aussi au sens social…

Dans cette écriture très belle, poétique, riche en vocabulaire qui vient ensemencer elle aussi notre langue française, Patrick Chamoiseau – Patrick « Oiseau de Cham » comme il aime à se définir - , nous livre un roman « audacieux par sa forme, admirable par son lyrisme, touchant par sa générosité poétique et politique » selon l’expression même de René de Cecatty dans le Monde des Livres du 10 avril dernier.

Un livre que l’on referme à reculons, espérant rencontrer nous aussi cette terre de Rabuchon qui nous fera encore longtemps rêver.

Du même auteur : Solibo Magnifique

Alice-Ange

Extrait :

SALUTATION – Il me fallut beaucoup de temps pour me le formuler à moi-même. Je n’y parvins que dans un extrême de ma nouvelle sérénité. Je n’avais rien à protéger et donc à perdre. J’avais seulement à vivre ce qui m’était donné.
Cette petite créature était mon maître.
Je me le déclarai dans les hauts vents de Rabuchon. Et me le répétais en descendant vers lui. Mon maître, mon maître, mon maître. Je sentais mon Alaya se révolter à cette idée. Je percevais aussi l’apaisement de chacune de mes fibres à la simple acceptation de cette réalité.

Parvenu auprès de lui, au plus près, j’essayai de le saluer avec le rituel d’honneur des grands aigles. J’ouvris les ailes, redressai la tête, exécutai les inclinaisons qui me ramenaient à hauteur différente, vers la gauche à chaque fois. Je tournoyai autour de lui ainsi, et je sentis l’émoi s’épandre dans Rabuchon.


Éditions Gallimard -   256 pages