Le roman est bâti en fragment et le lecteur saute d'un narrateur à l'autre. Tandis que Caroline reste le fil conducteur, on croise ses amants, son père, une collègue revêche, son amie Pauline, un oncle retrouvé, etc. Au fil de ses fragments, l'auteur cherche moins à tisser un mystère (assez rapidement résolue finalement) qu'à s'interroger sur le poids des filiations et des secrets familiaux sur la vie d'une femme en quête d'elle-même. Un sujet universel certes, mais aussi profondément québécois tant on y retrouve les traces de nos obsessions généalogiques. La famille, au Québec, c'est le sujet de tous les temps !
C'est aussi un roman sur le deuil et se faisant un roman que j'aurais voulu aimer. Par son thème mais aussi par cette idée des fragments, fragments qui évoquent le 'vase brisé' qu'est souvent l'identité, et aussi le lent travail de souris que représentent le deuil et la recherche de soi. Malheureusement, ces fragments sont devenus pour moi une accumulation de détails qui m'ont empêchée de profiter de la lecture. Des détails "importants" dans le sens où c'est un livre dont je voudrais parler longtemps, parce que j'aurais beaucoup de choses à en dire.
Pour faire bref, je dirais que j'ai trouvé l'écriture bavarde. À un moment, l'auteur fait dire à un de ses personnages "les âmes malades ne trouvent jamais les mots pour décrire leur condition." (p. 378) Cette phrase a le mérite de mettre le doigt sur l'extrême difficulté de mettre en mots les émotions complexes. On en vient à se demander comment les protagonistes peuvent en avoir autant, de mots, pour décrire leur condition en métaphores multiples. Je me rappelle de mon oncle, homme de théâtre, qui me disait combien une émotion contenue pouvait être plus efficace qu'un torrent de larmes. Les lettres que Caroline envoie pendant sa 'fuite' sont un bon exemple de trop de bavardage. On dirait qu'à force de s'expliquer, Caroline nous éloigne de son émotion brute.
Ce qui est difficile dans mon impression par rapport à ce livre, c'est qu'il est impossible de dire que Mme Dumais écrit mal. Loin de là ! Il y a un souffle certain et pourtant je n'ai pas su adhérer. (Trop d'attentes ?) J'ai trouvé l'écriture assez 'scolaire'. Un personnage entre en scène, on le décrit: couleur de yeux, couleur de cheveux, trait de caractère prégnant, métaphore à l'appui. L'intercallage de styles (contes, poésie, lettres, journal, etc.) ne m'a pas convaincue non plus.
J'ajouterais que j'ai eu du mal à saisir Caroline, surtout en début de parcours. Entre les descriptions que certaines personnes font d'elle (froide, distante, peu sociable, etc.) et l'image que Caroline a d'elle-même (frondeuse, ouverte sur les autres, ouverte sur le monde, etc.) ou qu'en dresse certains de ses amants (voir l'extrait plus bas). Bien entendu, il peut y avoir distorsion entre notre personnalité et ce qu'on projette, mais j'ai eu du mal à me retrouver dans tout ça.
Et pourtant, malgré tout ce qui me dérangeait, quelque chose fonctionnait pour moi dans ce livre. Ce thème, pourtant tant et tant ressassé, de la filiation, m'interpellait encore. La fin est assez crédible nous laissant sur cette impression perpétuelle d'une roue qui tourne et de cette vie qui se reproduit, jamais tout à fait identique, jamais tout à fait différente. Et j'y rêve, à cette histoire, depuis.
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Extrait (nattateur - Julien parlant de Caroline) :
Elle a traversé mon univers le temps de m'éblouir. Je n'ai été que le reflet de sa lumière. Ma faute sûrement. Mais qu'est-ce qu'un homme peut faire d'autres que ce que j'ai fait? Je la connaissais extravertie, curieuse, assurée. Elle est devenue songeuse, timorée, renfermée. Tout à coup, nos différences s'abolissaient, nous prenant tous les deux par surprise. Distraite et distante, mes paroles l'effleuraient à peine. Au détour d'un silence, ses yeux se chargeaient d'amitié. Dur, effroyable sentiment pour qui veut encager l'amour... qui s'est enfui comme il était venu.
C'est ainsi que mon histoire avec Caroline s'est achevée, aussi subitement qu'elle avait commencé et avec la même simplicité. Elle a battu des ailes, j'ai ouvert les mains. L'amour est un oiseau qui se nourrit d'espace.
Éditions Québec-Amérique - 420 pages
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