Une tache est apparue sur son bras. Elle ressemble à une carte de Manhattan, et est inquiétante. Lorsque le verdict tombe, il est terrible : quatre taches blanches dans le cerveau la condamnent à moyen terme. Elle prend alors toutes ses affaires, et sans prévenir personne, elle part en emmenant son chien. D'hôtels en aéroport qu'elle quitte après avoir renoncé à partir définitivement pour le bout du monde, elle cherche un endroit où elle pourra s'expliquer. Elle trouve finalement un logement où elle prend sur elle de raconter à sa mère ce qu'elle n'a jamais eu le courage de lui dire.

Pour conserver aux lecteurs la surprise, je ne dévoilerai pas ce que la narratrice avoue enfin à sa mère. Ce qui m'amène à devoir un peu jongler pour parler de ce roman. Tout d'abord, la première impression est que ce texte est dur : immédiatement, le lecteur apprend la maladie de l'héroïne, et la suivra dans son choix extrême de partir sans en comprendre toutes les raisons. Mais peu à peu, la maladie passe au second plan. D'abord, c'est la solitude du personnage qui est flagrante. Embarrassée par son chien, seul élément qu'elle conserve de son passé, elle finit par le laisser à l'aéroport pour pouvoir au mieux faire ce travail d'introspection. 

Puis le texte prend un nouveau virage, avec l'adresse personnelle à la mère et l'évocation de ce secret, qui ne sort que maintenant qu'il sait qu'elle n'aura plus longtemps à le garder. Alors, l'interrogation sur le lien entre ce secret et cette maladie est inévitable. Le fait d'avoir vécu dans un mensonge permanent, en incarnant la figure voulue par tous mais qui n'était pas la sienne, est-il une des causes de la maladie qui s'est déclarée ? On n'en saura pas plus, mais le parallèle entre les deux parties du texte, maladie et révélation du secret, ne permet pas d'évacuer un éventuel lien de cause à effet.

Dans ce court texte, Anne Révah parvient à donner une consistance à son héroïne, qui prend au fur et à mesure de le lecture la dimension d'un personnage de fiction. En sortant de le lecture, ma première impression était mitigée, mais en y repensant, ce texte mérite qu'on s'y attarde. Et ce d'autant plus que l'écriture est froide, presque clinique, mais agréable.

L'avis de Leiloona

Yohan

Extrait :

 J'aurais pu prévenir, dire je ne serais pas joignable, ne rien dire des taches blanches, faire croire à un déplacement exceptionnel pour le journal, j'aurais servi à tous une raison joliment agencée, toute façonnée par mon aisance naturelle. On m'aurait crue, sans doute. On me croit toujours. Je manipule les mots et les phrases avec vigueur. Je dis comme je veux ce que je ne pense pas, ce que je ressens à peine. Il suffit de le dire pour que l'autre le croie. Je sais faire. J'ai fini par me convaincre moi-même de toutes ces choses que je distille pour les autres, peu importe si c'est en me perdant. A force de bâtir le discours sur moi, je n'y suis plus vraiment. Je ne vois plus ce qui m'unit à tous ces mots que je manie comme le sable humide d'un château.


Éditions Arléa - 96 pages