Elles s'appellent Sassiya et Djida et vivent depuis des années à Paris. Mais quand l'une suit à la lettre les préceptes religieux, l'autre a épousé un Français et mène l'existence d'une Parisienne mondaine. Pourtant, tout n'a pas toujours été ainsi... Sassiya et Djida se sont rencontrées dans les années 80 à Alger alors qu'elles étaient toutes deux étudiantes.

Djida est née dans un petit village de Kabylie. La mort de son frère va l'amener à poursuivre des études supérieures d'agronomie et c'est ainsi qu'elle débarque à Alger, la grande ville au mille dangers. Djida est timide et craintive mais elle a promis à ses parents de leur revenir telle qu'ils l'ont laissée partir.

N'arrête pas la prière, fais tes ablutions, ne te sépare jamais de ton Coran, il te protégera du mauvais œil et des malveillants.

Sassyia, qui se fait appeler Sissi en hommage à Romy Schneider, a depuis longtemps pris son indépendance : habillée à l'occidentale, elle fréquente les réunions féministes et marxistes, rêve d'un français qui l'emmènerait vivre à Paris et d'un autre avenir pour son pays.

De toute façon, ici, à Alger, tout est permis, et on n'arrête pas d'évoluer. Ça fait combien de temps que nous sommes indépendants? Vingt-cinq ans à peine et les université sont déjà pleine de filles. Vers l'an 2000, les femmes surpasseront les hommes qui finiront bien par nous accepter comme des citoyennes à part entière. Le parti unique se cassera la gueule, la démocratie règnera en maître, les militaires cesseront de nous emmerder. Presse et édition libres, partis politiques à la pelle, importation à tout va, ouverture du marché... Et surtout abolition de cette mascarade de Code le la famille. On pourra enfin se marier comme on veut, quand on veut, sans tuteur, comme toute femme majeur qui se respecte.

Mais comment expliquer alors, 20 ans plus tard, un tel retournement de situation ? Qu'est-il donc arrivé à ces deux femmes pour qu'elles intervertissent leurs rôles ? C'est ce que tente de nous expliquer Leyla Z. Mechentel à travers leur parcours en Algérie, puis en Italie et en France.

Afin que le lecteur ne soit pas parasité par les descriptions ou les interventions du narrateur, Leyla Mechentel a adopté ici la forme du dialogue théâtral. Toute l'attention est alors captée par les voix de ces femmes qui luttent pour leur avenir et doutent de leur croyance. Et puis, cela permet aussi de recevoir ces témoignages loin de tout jugement facile et définitif. Leyla Z Menchetel ne tranche pas mais cherche à comprendre quel a pu être le parcours de ces femmes et comment elles sont devenues celles qu'elles sont aujourd'hui. Il serait bien évidemment tellement simple de condamner Sissi, mariée aujourd'hui à un fondamentaliste et refusant de déjeuner en présence d'un musulman buvant de l'alcool. Simple mais terriblement injuste et réducteur. Peu à peu, en suivant Sissi et Djida, on perçoit toute la difficulté d'être pour ces Algériennes, tous les combats qu'il reste à mener.

Leyla Mechentel, à travers les voix de ses deux héroïnes, nous parle des intégristes, de la condition de la femme, des difficultés de l'immigration, des espoirs de toute une génération et de ses désillusions. Ce très beau roman, loin de tout manichéisme, est porté par une écriture subtile et envoûtante.

Du même auteur : Les criquelins

Laurence

Extrait :

DJIDA : Es-tu croyante ?
SISSI : Comment ça, « croyante » ?
DJIDA : Crois-tu en Dieu ? As-tu la foi ?
SISSI : J'ai la foi en la vie, en l'amour, le terrestre, celui qui se palpe avec le peau et les sens... quant à croire en un dieu qui sème la terreur, qui pratique la discrimination et le sexisme, l'enfer et la torture, franchement, c'(est au-dessus de mes forces. À peine la tombe franchie, et pour avoir à peine souri à un homme ou oublié de te laver après un malheureux petit pipi, l'Ange de la mort te tombe dessus. Tu appelles ça une religion d'amour et de paix, toi ? Quand j'étais petite j'associais Dieu aux ogres des contes de ma grand-mère. (Elle rit) C'est dire, traumatisée dès l'enfance.
DJIDA : Dieu est bon et miséricordieux. Les hommes ont déformé son message. Un jour ou l'autre, la lumière entrera dans ton cœur.

La même Sissi, quelques années plus tard :

Je fais la prière, Leyla, je suis allée à La Mecque. Je suis une hadja, à présent, Youssef et moi éduquons nos enfants selon la sunna d'Allah et son Prophète, je suis en train de sacrifier ma carrière de chargée d'études, le pouvoir d'achat de ma famille va chuter de deux mille euros... Si je tiens à ce que ces concessions penchent en ma faveur sur la balance, inchallah, je ne peux pas participer à un dîner où des musulmans boivent du vin... tu comprends ?


Éditions du Rocher -   202 pages