Jacob se retrouve donc seul au monde et sans un sou vaillant car le Krack de 1929 frappe durement tout le pays. La maison familiale, le cabinet de son père ont payé les intérêts de retard du prêt souscrit pour ses études. Il est bien connu que les banques ne sont pas philanthropes.

Sous le coup de la douleur et de sa ruine soudaines, il quitte tout et marche en aveugle jusqu'à l'épuisement. Sur un coup de tête, il saute dans un train en marche et se cache dans un wagon. A l'aube, il découvrira qu'il est monté dans le train affrété par le Cirque des Frères Benzini.

Recueilli par quelques membres du cirque, il va être présenté au patron, le redoutable Oncle Al. Celui-ci va l'embaucher comme vétérinaire pour sa ménagerie, quand bien même Jacob ne possède pas le diplôme de Cornell. Il a les connaissances et c'est suffisant pour Oncle Al.

Au fil des jours et des voyages en train, des villes étapes à travers tout le pays, Jacob va découvrir la rude vie du cirque. Si pour le public, le cirque équivaut à des moments d'émerveillement, de numéros époustouflants, de l'odeur de barbe à papa ou l'occasion de voir des animaux comme des lions, tigres, girafes ou singes, l'envers du décor est loin d'être aussi enchanteur. Les hommes à tout faire sont traités comme des esclaves. Il n'est pas rare qu'à la fin du mois, le patron leur sucre leur paie.. juste pour son bon plaisir ou dans le meilleur des cas pour financer le foin pour les zèbres, les chevaux ou la viande pour les fauves. Gare si l'on a le malheur de déplaire au patron, il peut aussi décider que vous faire jeter du train en marche. En plus, cela fait encore des bouches en moins à nourrir. Oncle Al sait être pragmatique et ne perd jamais le sens de ses affaires.

Pour couronner le tout, Jacob se trouve pris dans les serres d'August le dresseur d'animaux. La protection dont il bénéficie ainsi dans un premier temps est à double tranchant. Il se retrouve à souffrir des crises de schizophrénie d'August. Ce ne sont pas les rares moments passés avec Marlène, la belle écuyère et (malheureusement) épouse d'August, ni avec chère Rosie, l'éléphante qui vont adoucir son sort.

Avec De l'eau pour les éléphants, Sara Gruen nous offre un très bel ouvrage sur la vie des cirques durant la Grande dépression qui a touché des États-Unis dans les années 30. Cette histoire pourrait aisément être portée au cinéma et les photos d'époque comme interludes entre les chapitres du roman nous donnent déjà un aperçu de cette vie itinérante pas aussi scintillante que l'on pourrait le croire.

J'ai également apprécié le déroulement du roman sur deux plans entremêlés. Le premier se rapporte à la vie de Jacob, veuf et logé dans une résidence pour personnes âgées. S'il a encore toute sa tête, ses enfants craignent pour sa santé. Ses considérations sur la vieillesse, les changements qui s'opèrent du fait de l'âge dans ses rapports avec ses enfants et petits-enfants, les autres résidents ou le personnel médical sont bien rendus. De plus en plus, la routine de la résidence est entrecoupée de ses souvenirs de sa jeunesse au sein du cirque, sa rencontre avec Rosie l'éléphante pas si aussi bête que l'on pourrait le croire et surtout de Marlène.

Une intéressante histoire sur le cirque et l'envers du décor. Mais que cela ne vous gâche pas le plaisir d'aller assister à la représentation du prochain cirque qui passera par chez vous. Et même si nous vieillissons tous un jour un peu plus, restons encore des enfants et apprécions la magie du spectacle des jongleurs, des clowns ou des otaries.

Viens voir les comédiens, voir les musiciens, voir les acrobates qui arrivent...

Dédale

Extrait :

Bientôt, des camions convergent sur notre terrain. L'un après l'autre, ils reculent vers la cantine, derrière laquelle d'incroyables quantités de nourriture disparaissent. Aussitôt le personnel se met à l'ouvrage : en un rien de temps, la marmite chauffe et des odeurs appétissantes – des odeurs de vraie nourriture – flottent dans l'atmosphère.
Aliments et litière pour les bêtes arrivent peu après, transportés par des chariots. Lorsque nous amenons le foin dans la tente-écurie, les chevaux hennissent doucement, renâclent, tendent la tête pour en voler des bouchées avant même d'être servis.
Les bêtes de la ménagerie ne sont pas moins heureuses de nous voir – les chimpanzés hurlent et se balancent aux barreaux de leur cage, souriant de toutes leurs dents. Les fauves vont et viennent. Les « bouffeurs de foin » encensent, grognent, crient et vont même jusqu'à en aboyer d'émotion.
J'ouvre la cage d'une femelle orang-outan et dépose une écuelle de fruits, légumes et noix. Comme je la referme, son très long bras se tend à travers les barreaux. Elle me désigne une orage dans une autre écuelle.
- Ça ? C'est ça que tu veux ?
Le doigt toujours tendu, elle louche sur moi de ses yeux rapprochés ; sa face est concave, une sorte d'assiette frangée de poils roux. C'est la créature la plus étrange et la plus belle qu'il m'ait été donné de voir.
- Tiens ! Dis-je en lui offrant l'orange. Je te la donne.
Elle la prend et la pose à terre, puis me tend de nouveau le bras. Après un temps d'hésitation, je lui tends la main. Elle l'enveloppe de ses longs doigts, puis la lâche et s'assoit sur son derrière pour entreprendre de peler son orange.
Je suis éberlué. C'était un merci !


Éditions Le Livre de poche - 469 pages
Traduction de l'anglais (Etats-Unis) par Valérie Malfoy