Autant vous prévenir de suite. En ouvrant ce roman vous trouverez un langage des plus verts, ça tue à tout va, la violence se développe comme une pandémie, la raison semble avoir disparu de la surface du globe. Stéphane Beauverger se lance là dans une description d'un monde apocalyptique malheureusement si vraisemblable. La nature humaine dans toute son horrible et malfaisante splendeur. Si vous craignez d'avoir peur, d'être en proie à un sentiment total d'insécurité à chaque page, changez de livre.
Mais si comme moi, tout cela vous intrigue, si dès les premiers mots vous êtes prisonniers par le style, le monde, les personnages créés de toute pièce par l'auteur comme un moucheron dans les fils d'une toile d'araignée, alors vous vivrez un excellent moment de lecture avec ce roman d'anticipation.
Que je vous en dise plus tout de même ! Ensuite vous déciderez en connaissance de cause.

Chromozone est un virus électronique militaire qui a dévasté le monde il y a quinze ans. Sans plus de repères, les hommes se sont repliés en micro-communautés ethniques, politiques et/ou religieuses. A chacun son bastion, sa conforteresse ! On ne mélange pas les blancars avec les Neg'-marrons encore moins avec les Sicaires ou les Keltiks.

Si tout ce qui fonctionne avec des composants électroniques est devenu inutilisable, les communications passent encore entre les grands consortiums industriels et les hommes politiques de chaque faction via les communications phéromoniques. Les luttes de pouvoirs, les coups bas et l'attrait du profit continuent comme aux plus beaux jours. Je ne peux entrer plus dans les détails tant cette histoire et les personnages sont riches, tant l'intrigue est savamment orchestrée.

Même si le tableau peint par S. Beauverger est des plus sombres, on est tout de même captivé par les portraits qu'il dresse de ses personnages. Tous sont si finement observés, rendus, du plus fragile au plus traite, ambivalent. Quel monde ignoble où vous ne pouvez compter sur personne ! Tous les défauts de la nature humaine se trouvent dans ces lignes : bassesse, gain du profit, trahison, violence à l'état brute, folie du et pour le pouvoir. Dans ce fatras immonde, il existe encore quelques êtres humains pour résister à ces courants, pour conserver certaines valeurs. Tous les hommes ne sont pas des loups pour l'homme, sauf quand leur propre survie est en jeu. L'auteur nous laisse encore un peu d'espoir mais nous interroge judicieusement.

« Le pire n'est pas toujours sûr, mais celui-là paraît probable », c'est ce qu'annonce la fin de la quatrième de couverture de Chromozone. A la fin de la lecture, on frémit d'horreur tant cette sentence prophétique est vraisemblable.

Et si comme la ritournelle dans le roman, « Il n'y a plus de place en ce monde pour la bêtise »..... tout dépend de qui prononce ces mots.

Dédale

Extrait :

Au matin, on a recommencé, arrêté les casseurs, protégé des immeubles, assuré la protection des médecins et infirmières qui étaient demeurés sur le terrain. Je n'avais pas de nouvelles de Justine, et je ne cherchais pas à en avoir. Je me sentais bien, et j'avais honte de me sentir bien. Au fil des jours, on a organisé la vie de notre quartier et évité le pire. Sans radio, sans téléphone, il était impossible de savoir ce qu'il se passait au-delà de notre périmètre. Paris était dans une autre galaxie. Les rumeurs les plus improbables circulaient, parfois malheureusement exactes.
Plusieurs bateaux de réfugiés qui tentaient d'atteindre l'Afrique ont été coulés au large par des bandes de pirates. Un gouvernement fasciste autoproclamé avait établi sa dictature à Toulon et avait pendu des centaines de victimes innocentes. Nous, on a attendu et on a tenu. Puis, peu à peu, la tempête s'est calmée. En quelques semaines, la paix est revenue. Le gouvernement a ressorti la tête de l'eau. Les premiers secours sont parvenus jusqu'à nous. En fait, les États européens ne s'en étaient pas si mal sortis que cela. Bien sûr, l'Union européenne n'avait pas survécu à la crise, mais ce n'était pas pire qu'aux États-Unis, qui se retrouvaient plongés dans une guerre civile et l'effondrement du système fédéral. A l'heure des bilans, Chromozone avait surtout engendré un morcellement des alliances et des communautés. Les fédérations, les confédérations, les unions, tout ce qui rassemblait des gens sur des principes autres que traditionnels fut morcelé. Le grand retour au repli sur soi et au protectionnisme était décrété. Il fallait panser les blessures. Finalement, c'était les pays dits « en voie de développement », nettement moins dépendants de la technologie de pointe, qui avaient le moins souffert des ravages du virus. Et c'était d'eux qu'allaient venir les modèles de structure sociale que copieraient les pays industrialisés fractionnés.


Éditions Folio SF - 422 pages