Ce sont sept nouvelles, des cultures différentes, des personnages aux sensibilités, caractères différents. L'humanité dans toute sa diversité. Tous les personnages sont à un moment assaillis par la mort, la dépossession, la terreur, voir toute cela en même temps. Ils sont à la croisée des chemins. Ils doivent choisir : se laisser emporter sans réaction face au sort qui les accable ou bien faire face pour s'en sortir vivant.

Avec L'amour, l'honneur, la pitié, l'orgueil, la compassion, le sacrifice, cela commence fort. Je n'ai rien compris ou si peu, à part le premier sens de cette nouvelle. Un étudiant vietnamien (qui ressemble fort à l'auteur), ancien avocat en Australie est parti aux États-Unis pour suivre des ateliers d'écriture. Il doit rendre absolument une nouvelle et voit son père débarquer. Les deux hommes n'ont rien à se dire, brouillés qu'ils sont depuis des années. Les questions des relations père-fils, du poids de la tradition dans les familles, celui plus lourd de l'Histoire sur les êtres qui ont fui la guerre sont abordées ici. Pourtant je n'ai pas accroché à ces personnages trop sur la réserve. On ne dit pas, on ne montre pas ses sentiments, ses interrogations. En fait, cet étudiant connait-il réellement son père ? Sait-il pourquoi celui-ci a été si sévère, intransigeant envers lui ? Face à ces questions, la peur de la page blanche ne perd-t-elle pas de son importance ?

Avec Cartagena, on suit un tueur à gages de 14 ans dans les bidonvilles de Medellin, en Colombie. Dans Ici Téhéran, c'est une américaine paumée par la fin d'une histoire d'amour qui rend visite à son amie en Iran. Durant son séjour, elle ne fait que comparer sa vie de déceptions amoureuses et de satisfactions professionnelles avec la vie engagée dans la dissidence de Parvin son amie. J'avoue être passée franchement à côté de ces récits. C'est tout de même un bel exercice d'écriture.

Cela se décante un peu avec Revoir Elise. Là c'est l'histoire d'un père a qui on a refusé de voir grandir sa fille. Cette dernière, devenue violoncelliste de talent, lui refuse encore de la voir après son concert au Carnegie Hall. Henry, peintre reconnu, vient d'apprendre qu'il souffre d'un cancer du colon. Il a surtout perdu Olivia, son modèle et femme plus jeune que lui avec qui il vivait depuis de nombreuses années. C'est l'interrogation sur l'inspiration d'un artiste. Qu'est-ce qui pousse Henry à dessiner à nouveau alors que tout part à vaut l'eau ?

J'ai nettement plus apprécié la nouvelle suivante, Halflead Bay. Jamie est un collégien sportif. Il a fait gagner son équipe et sa ville lors du dernier match. Son équipe pourra grâce à son but aller en finale et affronter l'équipe de la grande ville rivale depuis toujours. Il est aux prises avec Alison Fischer. Cette jeune et belle aguicheuse a porté son dévolu sur lui. Mais gare à Dory, grande brute épaisse et servant de la belle a le coup de poing facile. C'est le jeu du chat et de la souris que tout le collège suit avec intensité. Mais Jamie est confronté à un autre combat. Son père ancien marin est devenu menuisier pour rester auprès de sa femme atteinte de sclérose en plaques. Au fil des lignes, on apprend que ces jours sont comptés. Ici, le rythme des mots se dévide avec la lenteur sous le soleil écrasant qui pèse sur cette ville de bord de mer.

Évidemment, on ne peut rester insensible à Hiroshima et à la terreur qui empoigne peu à peu la petite Mayako face à la guerre, les paroles faussement rassurantes de ses parents, l'engagement de sa sœur pour l'Empereur. Rien ne la protégera contre la faim, son besoin d'enfant d'être avec ses parents, les avions américains et surtout d'un certain B29.

Avec Le bateau, on parcourt la planète. De l'Australie au Vietnam (L'amour, l'honneur..), de New-York à Cartagena en Colombie ou même Hiroshima ou parmi les boat people en mer de Chine (Le bateau). La vie, la confrontation à la mort, les relations parents-enfants, l'amour. Tous les choix auxquels tout être humain est amené à faire face dans sa vie et le prix à payer pour "cette liberté" de choix.

Cela reste bien écrit. C'est indéniable. Pourtant j'ai eu du mal à entrer dans certaines histoires. Je vais patienter jusqu'au premier roman de Nam Le. Peut être que la rencontre se fera plus simplement à cette occasion. Question de moment certainement.

Dédale

Extrait :

Revoir Elise

La bruine a fait place à la pluie. De l'autre côté du châssis vitré, l'air se vide de ses dernières couleurs. Les rues sont jonchées de détritus et le vent s'empare des papiers, des emballages plastiques, des feuilles mortes, les fait danser sur ses vagues invisibles. Les mains levées, je plonge la tête dans l'eau du bain. Soudain la tuyauterie de l'immeuble entier prend vie, comme si la terre elle-même se mettait à gronder. J'entends la pluie tambouriner sur toutes les surfaces exposées. C'est Olivia qui m'a appris ça.

Je me redresse, jette un coup d'œil à travers la vitre. J'aime la pluie, sa capacité à tout rendre monochrome. Même son propre bruit. Les passants se suivent, visages sombres sous des parapluies noirs. Leurs pieds giflent en silence des flaques superficielles. Certains, pris au dépourvu, courent bras croisés, tête baissée, comme s'ils s'échappaient des urgences. D'autres ralentissent l'allure, lèvent le nez, le visage constellé de gouttes de pluie, bouche bée, faisant mine d'apprécier. Des imbéciles heureux.


Éditions Albin Michel - 351 pages
Traduction de l'anglais (Australie) par France Camus-Pichon