Paradoxalement, il sera peu question des enfants gardés par Alex - à peine sait-on leurs noms et leurs âges - et tout l'objet du récit porte sur les relations qui se tissent entre le jeune étudiant et les parents-employeurs : il y a Mélanie, la boulangère, pleine de vie et d'énergie mais qui sent que son couple bat de l'aile ; le garagiste et sa femme qui ont bien du mal à voir grandir leur petit Émile ; la belle Irina qui a l'air si heureuse et insouciante ; et Marc, ce prof un peu paumé depuis que sa femme a été mutée dans une autre ville. Tour à tour, ils vont se confier à Alex, lui dire leur doutes, leurs inquiétudes et leurs espoirs. Car Alex a cette qualité précieuse de savoir écouter. Telle une éponge, il absorbe toutes les émotions qui l'entourent. Mais à trop absorber, Alex a parfois du mal à savoir où il en est lui même. Et si, comme nous l'avait confié l'auteur il y a quelques années, « C’est en donnant aux autres qu’on apprend sur soi-même et qu’on trouve sa place dans le monde » ?
Jean-Philippe Blondel renoue ici avec les entremêlements de destins de ses premiers romans et l'on retrouve certains thèmes qui lui sont chers : les relations parents-enfants, la mixité sociale, la convalescence etc. Et comme toujours, l'écriture d'une grande fluidité met en exergue son don d'observateur, sa façon si particulière de croquer ses personnages avec tendresse et lucidité. D'aucun pourrait penser que la disparition des monologues intérieurs est la grande nouveauté de ce récit, mais le "Je-Blondien" loin d'avoir disparu se fait plus discret, à peine dissimulé derrière le "Il" d'Alex, pour refaire pleinement surface à la fin du récit.
Ce qui peut étonner, quand on a déjà lu des romans de cet auteur, c'est l'apparente douceur qui règne tout au long du roman. Si Jean-Philippe Blondel nous avait habitué à une écriture mêlant humanité et espoir, ce dernier roman semble moins douloureux que les précédents, et c'est pour le lecteur un voyage plein de générosité et d'optimisme. Au fil des pages, on s'attache à cette galerie de personnages qui gravitent autour d'Alex et on se laisse guider par leur péripéties. Pour autant, l'auteur ne verse pas soudainement dans une béatitude niaise et les fêlures blondiennes - l'absence et la disparition - reviennent hanter ce roman comme les précédents. Le personnage de Marc est bien évidemment le plus touchant, le plus émouvant. Mais, alors que c'est sans aucun doute le personnage le plus proche de l'auteur depuis Juke-Box, on sent aussi le prisme déformant de la fiction, une distanciation nécessaire. C'est peut-être pour cela que ce roman paraît plus apaisé que les autres, moins violent pour le lecteur ; comme si l'auteur nous avait protégés en même temps que lui-même.
« La fiction sur papier, c'est inoffensif » et ça fait chaud à l'âme et au cœur quand c'est joliment raconté.
(D'autres avis dans la blogosphère : InColdBlog, Thom, Cuné, Keisha, Amanda, Tamara et Leiloona)
Voir aussi :
L'interview de Jean-Philippe Blondel
6h41
Et rester vivant
G229
Passage du gué (Prix Biblioblog 2007)
1979
Juke-Box
Un minuscule inventaire
This is not a love song
Un endroit pour vivre
Au rebond
À contre-temps
Laurence
Extrait :
Alex devine tout ça. En l'observant. En la humant. À cause du léger soupir qui se détache d'elle lorsqu'elle croise quelqu'un. Il a toujours été sensible aux autres, à leurs odeurs, à leurs textures, à leurs messages corporels. Déjà petit, il semblait pénétrer les histoires de ses proches, comme une sorte de pommade - sauf qu'il ne soignait rien. Il n'en a jamais parlé. Il sait très bien que ses interlocuteurs le regarderaient bizarrement et s'éloigneraient. Or Alex ne veut pas qu'on s'éloigne de lui. Alex a besoin, au contraire, de proximité. C'est pour ça qu'il a choisi cet appartement un peu au-dessus de ses moyens, en centre ville - et pas dans la chambre universitaire qui lui tendait les bras, au-delà du boulevard périphérique. Alex veut être là où le cœur bat. Écartelé entre les poumons de la cité, quitte à en être asphyxié. Un animal urbain et social - c'est là son point faible. Sa mère le lui a déjà répété - c'est sur toi d'abord que tu dois compter -, mais Alex hausse les épaules. Il ne changera pas d'un pouce.
Éditions Buchet-Chastel - 304 pages
Commentaires
mardi 12 janvier 2010 à 07h47
C'est impressionnant, le nombre de recensions qu'on compte déjà sur ce roman en quelques jours. Un peu comme si les blogueurs avaient décidé, inconsciemment, de mettre en valeur un auteur très peu connu par les autres biais médiatiques. Mais c'est tant mieux pour Jean-Philippe Blondel, dont ce dernier roman m'intéresse (malgré quelques comparaisons pas très flatteuses sur certains blogs, qui m'avaient un peu refroidi).
mardi 12 janvier 2010 à 09h50
Yohan : oui, Jean-Philippe blondel est un auteur très prisé des blogueurs depuis quelques années maintenant. Ceci explique sûrement cela. Tout ce que j'espère maintenant c'est que le cercle de lecteurs s'élargira de plus en plus. Quant aux comparaisons, elles m'ont laissée moi-aussi un peu dubitative... disons que je lui souhaite de faire d'aussi belles ventes; pour le reste je ne partage pas la comparaison.
lundi 25 janvier 2010 à 08h58
je vais me laisser tenter
lundi 25 janvier 2010 à 09h23
Pom' : j'espère que tu aimeras.
mercredi 27 janvier 2010 à 23h49
Je ne connaissais pas Blondel et sur vos conseils je l'ai proposé à ma bibliothèque pour tous (qui, j'ai une grande chance me fait du sur-mesure et achète 80% de mes suggestions !). Merci, merci donc !... J'ai passé un moment de lecture formidable. De la vie, de l'humanité à revendre, une belle écriture, vraiment fluide comme le dit Laurence. Le livre va tourner dans le village et il va faire des émules, c'est sûr De mon côté, je vais m'attaquer aux précédents ouvrages de Blondel.
jeudi 28 janvier 2010 à 09h13
Merci Castelnau12 pour votre confiance et je suis très heureuse que Le Baby-Sitter vous ait séduit autant que moi. Maintenant que vous l'avez lu, je vous invite à lire son interview, vous verrez, il donne quelques clés qui permettent d'appréhender ce dernier roman différemment.
vendredi 29 janvier 2010 à 14h08
Il neige ;jeune retraitée.d'une traite j'ai lu ce livre qui m'a enchanté..
samedi 6 février 2010 à 19h32
Encore un bon roman que nous offre là, JPh Blondel. Tous les personnages sont fort intéressants. Ma préférence va pourtant à Marc beaucoup dense que les autres, si cela est possible. Quand on connait l'oeuvre de l'auteur, c'est vraiment fort. Et on sent qu'il y en a encore dans la manche. J'ai déjà hâte du prochain.
samedi 6 février 2010 à 22h29
J'attends de passer en magasin pour m'acheter ce livre. Je n'ai pas eu l'occasion de le trouver à la médiathèque et en attendant j'ai emprunté Au rebond tout juste ce matin. D'après vos commentaires, ça ne risque pas d'être un futur achat que je vais regretter. Moi qui était à la recherche de lecture sortant de mes habitudes j'espère bien être servi ^^
dimanche 7 février 2010 à 15h53
Bonjour Miro,
je ne sais pas si vous avez lu mon billet sur Au rebond, mais comme je le disais ce n'est malheureusement pas le titre que je préfère chez cet auteur. Mais peut-être est-ce une bonne entrée en matière avant de découvrir les autres. Une fois que vous aurez lu le Baby Sitter, je ne peux que vous encourager à poursuivre avec Passage du Gué (prix Biblioblog 2007).
samedi 13 février 2010 à 17h00
J'ai beaucoup aimé le Baby Sitter et je vais essayer de trouver Passage du Gué. Encore un bon livre recommandé par le blog.
samedi 13 février 2010 à 23h01
Je n'ai toujours pas eu l'occasion de passer dans un magasin (Examen blanc) Cependant j'ai pris un grand plaisir à lire Au rebond et je suis bien pressé de découvrir le Baby Sitter. A la base on parlait de ce livre dans Vivement dimanche prochain donc je me suis dit pourquoi pas.
En tout cas, Laurence je suivrai votre conseil avec plaisir car si Au rebond n'est pas le titre que vous avez le plus préféré et sachant que je l'ai apprécié je me dis que les prochains seront sans doute encore mieux. Merci en tout cas de l'indication je posterai mon avis quand j'aurai fini de lire le livre
dimanche 14 février 2010 à 10h33
Caroline : très contente que nos conseils vous aient plu et j'espère que "Passage du Gué" vous plaira tout autant.
Miro : j'attends donc vos impressions avec curiosité.
samedi 6 mars 2010 à 13h15
Excellente lecture, des personnages bien ficelés, construction du roman intéressante
samedi 6 mars 2010 à 16h19
Fichtre! A fréquenter régulièrement ce blog, mes nuits seront hantées par la crainte que la pile sur ma table de nuit ne me réveille en s'écroulant.
samedi 6 mars 2010 à 17h49
Bienvenu au Club du Biblioblog, Gatsby !!

Sinon, une solution pour de bonnes nuits sans risque de chutes : mettre la pile à lire parterre. Elle tombera de moins haut (quoique) et en tout cas pas sur toi.
samedi 6 mars 2010 à 18h35
Re-Fichtre!!! Dédale, tu n'es pas pour la paix des ménages, toi
samedi 6 mars 2010 à 18h48
Dernière solution : inscrire ta moitée au Bilbioblog. Ainsi plus de soucis entre deux accros
dimanche 7 mars 2010 à 10h22
Gatsby et Dédale : j'aime beaucoup suivre vos conversations !!
dimanche 7 mars 2010 à 11h59
Pardon Laurence de tenir salon tous les deux dans notre coin :):)
vendredi 7 mai 2010 à 15h25
Ce roman est très plaisant à lire... plein de générosité et d'humanité. On va jusqu'au bout... La structure est originale : tout d'abord la vision d"Alex sur ses "employeurs" et la compassion qu'il leur porte, voire plus... et ensuite le regard de ceux-ci sur "le héros". C'est assez original et séduisant. L'écriture, certes "fluide" me semble trop "simpliste" voire un brin "populaire" pour traduire véritablement les sentiments profonds des personnages. Ce style enlève du poids à la force du récit.
Néanmoins c'est un bon roman qui retrace bien les aléas de la vie contemporaine.
dimanche 9 mai 2010 à 10h39
Je l'ai terminé il y a une semaine et me voilà pour en faire un commentaire. J'ai en tout cas énormément apprécié ce livre, et même si l'écriture est assez simpliste, l'ouvrage n'en demeure pas moins vraiment passionnant. J'ose le dire c'est même peut être cette simplicité qui m'a séduit. En tout cas, je vais suivre vos conseils Laurence et poursuivre mon "aventure" Blondel avec Passage du Gué. Merci beaucoup pour vos conseils pour l'instant je suis loin de les regretter.
mercredi 12 mai 2010 à 18h59
Jean-Claude : je pense comprendre votre sentiment sur l'écriture simpliste, même s'il me semble que c'est cette simplicité qui permet au lecteur d'embarquer pleinement dans le récit. Peut-être préfèrerez-vous (comme moi) Passage du gué; en tout cas, je vous invite à le lire si ce n'est déjà fait.
Merci Miro d'être revenu pour nous donner vos impressions de lecture et je suis heureuse que vous n'ayez pas été déçu. Quant à Passage du gué, comme je l'ai déjà dit de nombreuses fois, c'est le roman de Blondel qui m'a le plus émue jusqu'ici. J'espère donc que vous apprécierez le voyage.
dimanche 20 février 2011 à 23h16
une écriture fluide simple en apparence mais comme beaucoup je me suis laissée porter par ce roman très attachant.A l'occasion je continuerai à explorer l'univers de jP BLONDEL même si le Passage du gué est pour moi à ce jour son meilleur texte
mardi 12 juillet 2011 à 22h20
Laurence, 18 mois après, j'ai enfin lu ce roman (c'est pour te l'envoyer avant le déménagement
Un roman que j'ai pris beaucoup de plaisir à lire, dans lequel j'ai ressenti une forte empathie avec les personnages, une douceur, tout en étant confronté à des passages très douloureux. Un très bon roman, comme souvent avec Blondel !