Sirwan est un jeune kurde. Depuis son arrivée en France, il a été pris en charge par Otto, un vétérinaire qui le cache dans un sous-sol de l'Essonne et l'exploite. Avec lui habite Samira, sa petite amie, elle aussi sans-papiers mais originaire d'Afrique, qui est venue avec Bono, un singe. Mais lorsque Samira se fait mordre la jambe par un des chiens-robot confectionnés par Sirwan, la clandestinité doit être brisée, au risque de se faire prendre, car c'est la vie de Samira qui est en jeu. Mais l'influence de Otto, l'univers hostile qui les entoure, les risques de rafle et l'ombre de Gladiator, le chien-robot quasi indestructible qui erre dans la campagne environnante, font que cette sortie ne sera pas une partie de plaisir.

Je suis entré dans ce roman avec une idée préconçue, et fausse, de ce qu'il contenait. Alors que je m'attendais à découvrir un roman sur la vie d'un sans-papiers, basé sur des faits réel, j'y ai découvert une véritable fiction, avec un univers propre, et des péripéties à l'avenant. Ce n'est pas pour autant que Autopsie d'un sans-papiers est dénué de faits réels. Ainsi, une partie du roman est consacrée à l'enfermement d'un des héros dans un centre de rétention, avec description des conditions d'enfermement déplorables. Mais là n'est pas l'essentiel.

En effet, ce qui est frappant dans cet ouvrage, c'est l'impression de terreur, d'urgence que ressent constamment Sirwan, et le lecteur avec lui. A aucun moment il n'est en repos, soit parce qu'il faut sauver Sam dont la blessure est loin d'être anodine, soit parce que des éléments extérieurs, jamais bien identifiés, menacent l'existence des clandestins, sur le point d'être découverts. La vie dans le box, sans lumière mais avec quelques moyens de communication, est totalement liée à ce qui va pouvoir venir de l'extérieur, que ce soit en termes de soins ou de nourriture.

Il faut dire que la forme de ce roman implique une empathie pour Sirwan. Rédigé sous forme de journal, tenu très régulièrement (plusieurs fois par jours), le lecteur n'en sait jamais plus que ce découvre Sirwan. Les bruits que Sirwan entend, les hypothèses qu'il fait, sont pour le lecteur les seuls éléments qu'il a pour se situer dans le récit. Les révélations finales permettent de donner une cohérence et une pertinence aux différents éléments disséminés dans le récit et qui longtemps sans explications.

Le choix d'installer cette intrigue dans un futur plus ou moins proche apporte un plus indéniable au roman. Ainsi, les gouvernements successifs, pour lutter contre l'insécurité, ont décidé de construire des centrales permettant d'éclairer les villes comme en plein jour. Le thème des chiens-robot, qui ont remplacé les vrais chiens qui ont tous été supprimés, est un autre élément de cette plongée dans un monde fictif. Mais certains éléments entrent en résonnance avec des faits actuels : l'immigration et ses réseaux, les gitans comme les sans-papiers qui restent les cibles privilégiés des forces de l'ordre, auteurs de descentes au petit matin dans les cités. L'ouverture du récit, lorsqu'Otto intimide Sirwan en lui présentant de loin les descentes, est très saisissant (extrait ci-dessous). Otto est d'ailleurs un personnage important de ce récit, puisque son rôle, jamais clairement défini, est primordial dans la résolution de l'intrigue.

Autopsie d'un sans-papier est donc un roman d'anticipation intéressant, qui aborde un sujet malheureusement actuel mais en fait un vrai traitement romanesque. Seul petit bémol, mais qui s'adresse plus à l'éditeur : la quatrième de couverture et la couverture ne laissent jamais penser que ce roman contient une grande part d'anticipation, ce qui est regrettable mais doit pouvoir s'expliquer d'un point de vue marchand (puisque je suis moi-même allé vers ce roman pour les éléments cités, mais ait découvert une œuvre différente, et non moins intéressante !).

Du même auteur : Romanesque 2.0

Yohan

Extrait (qui, pour bien faire, ne parle pas d'anticipation) :

 Dix-sept avril : morsure

6h15
Les nuages lacrymogènes s'évanouissent déjà. Sur la dalle en contrebas, les lampadaires au sodium jaunissent les derniers filaments de gaz.

La rafle se termine. La brigade a fini de nettoyer la tour la plus éloignée de la voie rapide. Reste à embarquer le butin. Par trois, les gardes mobiles débouchent au trot de la cage d'escalier. Chaque trio évacue un sans-papiers. Tirées à bout de bras par les mains et les chevilles, certaines de leurs proies sont transportées à plat ventre, d'autres sur le dos. Beaucoup s'épuisent à se tortiller. La file des capturés s'allongent au fur et à mesure, s'enroulant autour de deux autocars gris. Ils sont maintenant une bonne trentaine, menottés, tenus en respect par une dizaine d'hommes agitant ostensiblement des pistolets électriques. Un peu à l'écart, une silhouette se tord de douleur, sans doute électrocutée par les RGIGN à qui elle essayait de tenir tête.

"Allez, tu en as assez vu", crie Otto en m'arrachant des mains les jumelles qu'il m'avait tendues dès notre arrivée au sommet de cette côte. "Monte vite dans la bagnole, mon gars, qu'on aille décharger les citernes. Il va faire jour et il ne faut pas faire attendre Samira."


Éditions Le passager clandestin - 240 pages