Tout commence en 1976, pendant la guerre sale. La junte militaire qui a pris le pouvoir lutte sans merci contre les "subversifs" et veut mettre en place le Processus de réorganisation national. En fait de réorganisation, il s'agit purement et simplement de supprimer tout les opposants au régime : l'armée enlève, séquestre, torture et assassine tous ceux qui sont soupçonnés de sympathie avec le parti communiste. Parmi les prisonniers, Liliana, enceinte de quelques mois, est étrangement protégée par La Bête, un officier pourtant réputé pour son sadisme. Mais La Bête est amoureux de Miriam, une pute au grand cœur, et il lui a promis de lui "offrir" l'enfant qu'elle ne pouvait avoir. La Bête avait tout prévu (le transfert, la fausse déclaration, l'exécution de la véritable mère etc..) mais il ne s'attendait pas à ce que le soir de l'accouchement, dans le même hôpital, la fille du Général Dufau mette au monde un enfant mort-né et que l'enfant de Liliana soit "réquisitionné" par le Général.
Avec Luz ou le temps sauvage, Elsa Osario revient sur l'histoire de son pays, mais elle le fait avec une grande intelligence romanesque. Dès le prologue, la romancière installe une tension qui se maintiendra jusqu'à la dernière page et c'est avant tout le destin incroyable de Luz que le lecteur suit avec avidité et angoisse. Le contexte historique, sans être jamais gommé, forme à la fois la toile de fond et le nœud central de ce récit époustouflant. Découpé en trois actes (1976 / 1983 / 1995-1998), Luz ou le temps sauvage met sous les projecteurs ces années sombres de l'Argentine, mais également le travail remarquable des grand-mères de la place de mai qui se sont battues pendant des années pour retrouver les quelques 500 nouveaux nés kidnappés par la junte.
Il faut dire que l'écriture d'Elsa Osorio est remarquable : en entremêlant les voix, les narrations à la première, deuxième et troisième personne, en alternant présent et passé, elle donne corps à chacun de ses protagonistes, évite toute vision manichéenne, et met en place les pièces du puzzle à la façon des meilleurs romans policiers. Luz est bien évidemment le personnage central de ce roman, mais on la découvre à travers le témoignage de ceux qui l'ont vue grandir, quelques jours ou plusieurs années. Sans jamais perdre le fil de son intrigue, Elsa Osorio prend malgré tout le temps de faire vivre chacun des personnages secondaires, de leur donner de la matière et de brosser des portraits psychologiques tout en nuance et humanité. Longtemps après la lecture, on garde en mémoire les figures de Miriam, Eduardo, Dolores, Délia, Laura etc... Mais ce qu'il y a de plus frappant, c'est que malgré la gravité et la noirceur du sujet, toute la narration est portée par un amour sans faille et une générosité extraordinaire. Luz, une lumière dans la nuit de l'Argentine.
(D'autres avis dans la blogosphère : ce roman avait été le premier titre choisi par le club de lecture des Blogueuses en septembre 2007. Lisa recense sur son billet les chroniques de toutes les participantes.)
Du même auteur : Sept nuits d'insomnie
Laurence
Extrait :
Luz se demanda par où commencer l'histoire: par l'accouchement à la clinique de Paranà, ou par l'hôpital de Buenos Aires ? Peut-être vaudrait-il mieux parler d'emblée de ce lien étrange et puissant qui s'était noué entre Miriam et Liliana. Mais elle laissa venir simplement les mots, sans même expliquer pourquoi elle connaissait tant de détails d'un côté et de l'autre. De l'autre, en vérité, elle savait très peu, presque rien, tout juste ce que Liliana avait raconté à Miriam. Ainsi que les derniers jours de Liliana, ses premiers jours à elle. Si quelqu'un pouvait l'aider à connaître l'autre côté, c'était lui, Carlos. Mais il semblait tellement perplexe en l'écoutant que pendant cette première heure il l'interrompit à peine pour lui poser une question ou faire une remarque.
Luz ou le temps sauvage d'Elsa Osorio - Éditions Métailié - 354 pages
Commentaires
vendredi 29 janvier 2010 à 09h32
Ce billet donne envie.
Sylvie
vendredi 29 janvier 2010 à 10h19
Ce livre était au courrier ce matin. Je sais que je n'aurai pas l'humeur ouvrière aujourd'hui.
vendredi 29 janvier 2010 à 17h53
4 livres dans mon courrier ce matin:"Les Neiges du temps","Tango ", "Luz ou le temps sauvage ", "LA petite cloche au son grele",bref, du pain sur la planche , sans compter tout le reste! pour Dédale,je commence par "Les NEIGES...!
samedi 30 janvier 2010 à 09h18
Sylvie : alors il faut se laisser tenter
Gatsby : avez-vous entamé votre lecture depuis hier matin et êtes-vous satisfait de ce que vous y avez découvert?
Marimile : et bien ! Le moins que l'on puisse dire est que vous nous faites confiance ! Merci du fond du cœur et au plaisir de lire ce que vous avez vous-même pensé de ces romans.
samedi 30 janvier 2010 à 09h38
Marimile, à ce stade là, ce n'est plus "du pain sur la planche" mais de la brioche

Je suis vraiment impatiente de lire vos impressions de lecture. A bien vite.
Etrangement, ce livre est tombé cette nuit dans ma valise. Bizarre, bizzare !
mercredi 3 février 2010 à 19h14
Je n'ajouterai rien sur le fond à l'excellent billet de Laurence. J'ai ouvert ce livre et je n'ai pu le lâcher avant la dernière page, abandonnant tout butinage littéraire, d'habitude mon pêché mignon. Plus encore que par l'ébouriffante fluidité du style, même dans la première partie où la crudité de certaines situations pourrait heurter, mais se justifie d'elle-même, j'ai été conquis par l'habileté de la construction qui entraîne et captive le lecteur. On a beau connaître le contexte historique, on va de l'avant, tenaillé par la curiosité quant au destin des protagonistes. Et puis il faut signaler la grande qualité de la traduction. Merci Laurence pour cette découverte.
jeudi 4 février 2010 à 08h11
Merci Gatsby et heureuse que ce roman t'ait plu autant qu'à moi. Je suis entièrement d'accord avec toi : la construction narrative de ce roman est époustouflante. Si tu as envie d'approfondir la question des enfants kidnappés, je t'invite également à lire La lumière et l'oubli de Serge Mestre qui se situe pendant la guerre espagnole.
samedi 6 février 2010 à 19h21
J'ai terminé cette histoire il y a peu et j'en suis encore toute retournée. Un roman mené de façon très intelligente et avec des personnages forts. Une excellente lecture que je recommande vivement.
Merci Laurence
Sur le même sujet des enfants de disparus en Argentine, je vous recommande également La Perrita de Isabelle Condou (chez Plon). Cela vaut aussi son pesant.
dimanche 7 février 2010 à 16h00
Avec grand plaisir Dédale
mercredi 10 février 2010 à 19h53
Je viens de terminer la lecture de _Luz ou le temps sauvage et comme Dédale suis encore sous le choc: un roman très fort vraiment et meme si les faits relatés sont connus,on ne peut qu'etre impressionné par la maitrise de l'auteur à conduire son récit ,à nous faire partager l'angoisse et la peur qui habitent les personnages dans ce "temps sauvage ". J'ai été aussi très sensible à la qualité de la traduction. Merci 'Laurence ,de m'avoir fait découvrir ce livre.
jeudi 11 février 2010 à 09h56
Je sors un peu du sujet, mais partant de la période de la dictature en Argentine, je vous recommande la lecture de "Trois chevaux", de Erri De Luca.
jeudi 11 février 2010 à 19h29
Marimile : merci beaucoup pour ce retour de lecture. C'est un vrai plaisir, en lisant vos commentaires à tous, de savoir que non seulement je vous ai donné envie, mais qu'en plus vous avez aimé autant que moi ce roman.
Merci pour l'info Gastby
vendredi 12 février 2010 à 15h54
luz ou le temps sauvage de elsa osorio est un livre magnifique, c'est vrai !!
c'est aussi un livre nécessaire. nous ne devons jamais oublier les horreurs de la dictature argentine, et, en général, les horreurs de n'importe quelle guerre ou dictature !
merci d'avoir sû si bien lire elsa osorio ! vraiment merci!
irene
lundi 22 février 2010 à 08h09
Tout d'abord, merci Laurence, pour m'avoir fait découvrir ce livre car j'ai adoré. Toutes ces voix qui s'entremêlent dans la narration nous happent et nous tiennent jusqu'au bout. Et tout est très juste, on ne tique jamais sur une invraisemblance, on colle à Luz de très près car on ne veut pas l'abandonner. Bref, c'est un livre qui va passer de main en main!
mercredi 24 février 2010 à 13h47
Irène : merci à toi pour ces très jolis compliments.
Lau : je suis heureuse que ce roman t'ait plu et que mes conseils ne t'aient pas déçue. En espérant que ce ne soit pas le dernier.
mercredi 17 mars 2010 à 00h08
Bonsoir,
Le billet de Laurence m'avait mis l'eau à la bouche. Je viens de finir le livre. Et le charme n'a pas opéré pour moi.
Il me semble qu'avec un tel sujet, l'auteur est restée très "en dessous" de ce qui aurait pu être écrit. Il manque en même temps une ampleur à l'histoire et une subtilité à la psychologie. Et puis, j'ai été trop heureuse en lecture ces derniers temps: "La Peur" de Gabriel Chevallier, "Ce que le jour doit à la nuit" de Yasmina Khadra, "Le Village de l'Allemand" de Boualem Sansal, pour ne citer qu'eux, ont chacun un style différent, mais fabuleux. Celui d'Elsa Osorio venant juste après, ne peut rivaliser : incolore, parfois brouillon, sans originalité.
Dommage, j'aurais aimé aimer...
Sylvie.
samedi 20 mars 2010 à 10h30
Bonjour Sylvie,
désolée que vous ne partagiez pas ce coup de cœur mais je retiens aussi que vous avez apprécié "La peur", un récit qui m'avait grandement bouleversée l'an dernier. Peut-être aurais-je lu le roman d'Elsa Osorio après celui de Gabriel Chevallier, mon enthousiasme n'aurait pas été aussi fort, je ne sais pas.. Mais je vous trouve malgré tout bien sévère : incolore? brouillon? Vraiment? Cela montre une fois encore que nous sommes tous différents face à un roman...
dimanche 30 janvier 2011 à 14h03
Pour moi aussi "Luz" est un grand roman que j'ai lu avec passion. J'avais aussi beaucoup aimé "Tango" de la même auteure. "Luz" m'a rappelé un film argentin des années 1980 qui s'appelle "l'histoire officielle" et qui m'avait bouleversée.
dimanche 30 janvier 2011 à 20h13
Merci Rose pour ce retour
mardi 15 mars 2011 à 15h24
J'ai beaucoup apprécié ce livre angoissant sur les capacités de l'être humain à être mauvais.
exemple page 129/130:" Quand Laura et Javier leur rendirent visite, Amalia était encore là. Pour aider Mariana, car les premiers jours sont difficiles. Et la petite pleurniche beaucoup".
jeudi 7 mars 2013 à 13h26
laurence:
peux-tu croire que ce n'est qu'aujourd'hui que je reçois ta réponse ?
merci à toi d'être une si bonne lectrice
jeudi 22 mai 2014 à 14h26
J'ai aussi beaucoup aimé ce roman, lu parce que l'Argentine était à l'honneur au salon du livre. Elsa Osorio est une belle découverte ! Je comprends le choix de l'auteure de nous dévoiler assez vite qui sont ses vrais parents, mais j'aurais bien aimé qu'elle joue sur ce suspense-là. Elle a plutôt choisi : comment va-t-elle retrouver ses parents, et c'est intense aussi, car c'est la junte a tout fait pour cacher ça.