Gérard est né à Saint-Ouen, en 1948, juste après-guerre, dans une France qui veut oublier. Fils d'immigrés italiens (d'un côté une longue lignée d'aristocrates turinois, de l'autre des prolétaires napolitains), il vit dans l'exigu deux-pièces de ses grands-parents tandis que son père et sa mère, logés dans l'appartement du dessus, triment pour subvenir aux besoins du petit. N'allez pas pour autant croire que Gérard est malheureux : « Huit années durant, je regagnais chaque soir la banquette-lit, au comble du bonheur, dans la paix et la sérénité ». Dans cette France des Trente glorieuses, l'enfant grandit au rythme des changements économiques, sociaux et technologiques. Mais ces Trente glorieuses ont-elles été si heureuses qu'on nous le dit ?

Gérard de Cotanze égrène ses souvenirs et entremêle anecdotes familiales et chronique historique : « C'est en quoi on pourrait qualifier son livre, ce livre, un livre des Mémoires - la sienne et celle de son temps. » Au fil des chapitres, il sera question de l'école, de la lecture, des filles, des premières vacances au camping, de la carrière du paternel etc. Mais aussi des grands événements qui marquèrent l'Histoire (le couronnement d'Elisabeth II, l'hiver 54, la guerre d'Algérie, l'élection de Kennedy...) ou des petites révolutions qui agitèrent les Français : l'arrivée de la télévision, la publicité, le bikini, les premiers livres de poche, la construction des grands ensembles... Page après page, c'est tout un pan de notre mémoire collective qui prend forme. Si le destin de Gérard de Cortanze est forcément singulier, il parvient à recréer l'atmosphère de ces années 50 avec justesse, et le lecteur (jeune ou moins jeune) retrouve des images et une bande son qui le ramènent quelques années en arrière. On peut bien sûr reprocher à ce récit l'écueil du catalogue et certains apprécieront peut-être moyennement l'inventaire d'objets et de marques auquel se livre parfois l'auteur. Mais à l'instar de la madeleine de Proust, ces évocations permettent de réveiller les souvenirs et les sensations. Pour ma part, j'ai retrouvé dans ces pages les souvenirs de mon propre père, et je sais à quel point les Dinky Toy ou les figurines publicitaires sont intimement liés à cette part d'enfance.

Mais n'allez pas croire que ce récit se limite à une simple et banale énumération. L'auteur s'interroge sur les changements qui bouleversèrent les habitudes des Français et se demande s'ils sont réellement signe de mieux-être. Pourtant point de nostalgie ou de litanies qui voudraient nous faire croire que « c'était mieux avant ». Rien de tout cela, mais pas non plus d'optimisme aveugle et amnésique. On appréciera aussi les nombreuses réflexions sur l'acte d'écriture, ses motivations et ses ressors :

Nous y sommes. J'ai toujours écrit, seule manière de retrouver mon identité perdue. C'est cela l'écriture : l'île des îles, celle qui comble tous les manques, répare toutes les failles autobiographiques. L'écriture est ce qui sauve, ce qui permet un retour aux origines, non pas en se reniant soi-même, comme je l'ai longtemps pensé, mais en se reconnaissant. L'écriture rend possible l'impossible et propose une injonction: ne jamais faire du souvenir de l'île natale sa matière première.

De Gaulle en maillot de bain devrait donc séduire tout ceux qui ont connu ces années mais également ceux qui comme moi, l'ont vécu à travers les souvenirs de leur parents et grands-parents. Et si vous avez aimé, alors peut-être aurez-vous envie de découvrir la suite, Giscard en short au bord de la piscine, qui vient de paraître ce mois-ci.

Laurence

Extrait :

Chacun a sa publicité préférée. Dans notre famille, c'est devenu une sorte de jeu. Dis-moi quelle publicité tu aimes, je te dirai qui tu es. Le Vérigoud « c'est si bon » me comble de joie, avec son petit garçon en culotte courte tenant dans ses mains quatre bouteilles de la fameuse boisson pétillante. Papa a un faible pour la trait zigzagant de l'affiche Havas où un cadre souriant, gominé et à lunettes, prétend mettre son siècle d'expérience dans tous les domaines de la publicité au service PERSONNEL de son client. Et maman évoque toujours avec des trémolos dans la voix l'affiche Vespa où l'on aperçoit un Gilbert Bécaud bondissant sautant sur une deux-roues rutilante en chantant, notes à la clef : « Ça, c'est formidable. » Papa, jaloux, prétend que le beau Gilbert avec sa jambe levée sur la selle de la Vespa ressemble à un chien qui pisse contre un arbre. Mais ça, c'est de la jalousie, et c'est une autre histoire...


De Gaulle en maillot de bain de Gérard de Cortanze - Éditions Plon - 348 pages