Comme le précédent opus, Giscard en short au bord de la piscine se situe à mi-chemin du roman d'apprentissage et de la chronique sociale. Le jeune Gérard, mal à l'aise avec ses origines italiennes, met des masques et se prend pour un autre : on le retrouve tour à tour sous les noms de Karl, Renato, Jean-Baptiste Ibsen, François, Zardoz... Comme beaucoup d'adolescents, il se cherche, s'invente des identités pour mieux appréhender le monde qui l'entoure. Il se prend de passion pour le cinéma au lycée, puis le théâtre d'avant-garde avant de militer dans un groupe féministe.

Quand arrive Mai 68, il découvre la « démocratie athénienne à outrance » jusqu'à ce qu'un soir de manifestation, un ami à lui soit grièvement blessé. C'est alors le début de la désillusion mais également les premiers moments de complicité avec son père. Alors que cette période est synonyme d'espoir et de libération, le jeune Gérard semble en permanence sur le bord de la route, en marge de ses contemporains. L'adolescent devient étudiant, puis enseignant mais toujours cette exigence, ce regard critique sur une société qui lui semble faussée. Alors que ses amis s'engagent (en politique ou dans l'action humanitaire) lui continue de chercher sa place sans trop savoir s'il y parviendra un jour.

Et puis, il y a Esther, figure féminine éminemment romanesque. Le lecteur comprend dès sa première apparition qu'elle est l'objet central de ce récit : jeune fille fragile qui assume de vivre dans l'irréel, Esther est un fantôme qui ne cesse d'obséder le jeune homme mais ce dernier, paradoxalement, semble redouter les retrouvailles. L'histoire d'Esther et Gérard, même si elle n'est que fiction, est particulièrement émouvante. D'un pays à l'autre, d'une fenêtre à l'autre, ils défient le destin et les chemins déjà tracés.

Dans ce roman foisonnant, Gérard de Cortanze analyse les années 70 avec un regard acéré et non dénué d'humour. Comme dans De Gaulle en maillot de bain, on retrouve le portrait d'une France en pleine mutation mais la narration est ici un peu différente, les parenthèses sur l'écriture et les inventaires d'objets de la vie quotidienne ayant disparu pour laisser plus de place aux déboires du jeune homme et questions politiques. Giscard en short au bord de la piscine est donc à la fois l'autobiographie d'un homme et la mémoire d'une génération qui devrait prendre plaisir à réveiller certains souvenirs.

Laurence

Extrait :

Dans la France des années 60, la date de naissance crée des opposition irréductibles, génère des clans, trace des frontières infranchissables. Les « Âges tendres et têtes de bois » font face aux plus vieux, aux « croulants », aux « PPH » : passeront-pas-l'hiver. Prenons ma famille paternelle. Mon grand-père est un défenseur acharné du Touring Club de France, ses combats sont les siens: défense du patrimoine, goudronnage des chaussées, instauration du secours routier, développement de la signalisation et d'une hôtellerie digne de ce nom. Adepte de la vitrophanie, il a collé sur le pare-brise de son automobile le monographe du TCF ; offert aux adhérents, ce dernier est un « signe de ralliement, un emblème de camaraderie, de sympathie et d'entraide ». Mon père ne cesse de regretter la disparition des magasines d'avant-guerre qui étaient reparus à la Libération : L'intrépide, Hurrah !, Pierrot, Coq hardi. Il pousse même la nostalgie jusqu'à verser une larme quand Mireille, Fillette et Bernadette, bandes dessinées adressées au filles, sont remplacées par des hebdomadaires faisant la promotion de chanteur à la mode. Oui, chacun voit midi à sa fenêtre. Ma grand-mère a pour maître étalon la propreté, à commencer par celle de son corps; comme Michèle Morgan, elle emploie le savon de beauté Lux, bien qu'elle lui préfère Greta Garbot qui a eu, elle, « la décence de refuser de poser pour de la réclame ! ». Quant à ma mère, elle rêve aux meubles qu'elle n'a pas encore. [...] Oui, chacun essaie de trouver sa place dans cette France qui voit la guerre s'éloigner doucement mais sûrement: l'année prochaine nous fêterons le vingtième anniversaire de la victoire des Alliés sur le nazisme.


Giscard en short au bord de la piscine de Gérard de Cortanze - Éditions Plon - 289 pages