Luka habite à Liverpool, avec sa mère et son frère, Darl. A 17 ans, elle rêve de quitter cette ville, dont elle sent qu'elle ne pourra pas assouvir ses espoirs, notamment celui de devenir une pianiste reconnue. A cela s'ajoute son envie de ne plus voir Neal, son oncle, qui est régulièrement à la maison. Lorsqu'elle rencontre Jude, qui ne rêve que de partir pour Londres, elle sent que ses espoirs vont enfin se concrétiser. Mais l'attraction du quartier dans lequel elle a toujours vécu, et la maladie de sa mère qui l'oblige travailler, éloignent de plus en plus Londres de l'horizon proche de Luka.
Luka est jeune, lucide et pragmatique. Liverpool ne la satisfait plus, de même que les relations qu'elle a avec son frère ou ses amis. Pour elle, Londres et Jude sont l'avenir, les territoires inconnus vers lesquels elle désire à tout prix se rendre. De Jude, elle en parle autour d'elle, à sa mère, à ses amis, mais ils ne le voient jamais. Ils savent qu'il est serveur dans un pub, qu'il s'apprête à partir pour Londres, mais pas plus.
Cette envie de partir, personne ne la comprend vraiment, hormis Jude et sa professeur de piano, qui devient une très proche de la famille suite à l'accident de la mère. Les autres tentent de la retenir, de lui montrer qu'elle ne peut vivre que dans le cadre restreint de son quartier, de ses connaissances, et les problèmes de voisinage ne sont pour eux que des désagréments mineurs.
Les vies de Luka, ce sont celles qu'elle mène, d'abord chez elle, puis comme employée à la morgue, où elle s'occupe du nettoyage des locaux. C'est également la vie imaginaire qu'elle rêve aux côtés de Jude, à Londres ou comme pianiste renommée, une vie qu'elle pressent possible mais qui ne veut pas s'offrir à elle.
Ce n'est pas un roman à sensations ni péripéties, les décors sont plutôt sombres et tristes et l'intrigue met parfois mal à l'aise, comme lorsqu'on découvre la première relation sexuelle de Luka avec un garçon du quartier, pas enthousiasmante. Mais Arnaud Cathrine n'en rajoute pas dans le glauque. Malgré l'horizon bouché de son héroïne, son écriture laisse transparaître une gaieté, une luminosité, notamment via Luka, qui tranche avec le quotidien des protagonistes. Roman en partie triste et réaliste, sur le désarroi de jeunes adultes et leur attachement parfois involontaire aux lieux où ils ont grandi, en partie optimiste, sur la volonté de s'en sortir, Les vies de Luka est un très joli mélange entre style et intrigue a priori contradictoires, et permet, en quelques pages, de dessiner des héros poignants et forts.
Du même auteur : Les choses impossibles, La vie peut-être, Sweet home, La route de Midland, La disparition de Richard Taylor, Nos vies romancées
Extrait :
- Tu l'a manqué à cinq minutes près.
- Qui ça ?
- Jude, a répondu mon frère. Il vient d'appeler. Il ne s'est pas présenté, mais je suis sûr que c'était lui.
J'ai senti que je devenais livide alors je me suis appuyée contre le mur.
- Un sale coup de Trevor, ai-je conclu.
- Sûr que non. Je l'aurais reconnu.
- Et moi, je suis certaine que si.
- Pas possible, Luka.
Mon frère a désigné le salon : Trevor était assis à sa place habituelle, devant le téléviseur.
- Qu'est-ce qu'il fout encore ici ? Ai-je marmonné, sachant pourtant que j'étais incapable de donner le change.
- Il t'attend, je suppose. Tu ne sens pas bien, Luka ?
- Pourquoi tu lui as raconté ?
- Raconté quoi ?
- Ne fais pas l'imbécile. Tu lui as parlé de Jude.
- C'est mieux qu'il soit au courant, non ?
Je n'avais aucune réponse à lui faire. Il m'a souri, mais je n'ai pas pu lui rendre son sourire.
Les vies de Luka d'Arnaud Cathrine - Éditions Verticales - 160 pages
Commentaires
mardi 2 février 2010 à 08h20
Merci Yohan pour ce billet. Chez moi, il fait remonter à la surface un très bon moment de lecture.
mardi 2 février 2010 à 09h06
Cela fait des mois que je tourne autour d'Arnaud Cathrine, sans oser me décider à l'aborder. J'avais noté La route de Midland, puis Le journal intime de Benjamin Lorca. Et maintenant, tu me présentes Les vies de Luka qui m'ont l'air tout aussi attirantes.
Il va bien falloir que je me décide à aller à la rencontre cet auteur.
mardi 2 février 2010 à 17h54
Toujours rien lu de cet auteur, mais à la lecture de ton billet, je ne sais pas pourquoi, ça me fait penser aux film de Ken Loach. Au fait, on avait oublié d'indiquer les romans d'Arnaud Cathrine que Dédale avait déjà chroniqués ici. Je viens donc d'actualiser le billet.
mercredi 3 février 2010 à 08h51
@ Dedale : content que ce billet prenne pour toi la forme de madeleine...
@ Incoldblog : je te conseille vivement de sauter le pas. Ce fut une première expérience, donc je ne pourrais pas te conseiller plus, mais elle fut réussie !
@Laurence : Ken Loach, oui, pour l'aspect triste de cette banlieue de Liverpool. Mais ce n'est pas un roman social, mais plus une confrontation entre espoir et réalité (thème très loachien, il est vrai !)
dimanche 21 février 2010 à 17h55
C'est un des rares livres d'Arnaud Cathrine qu'il me reste à lire et ça m'en donne bien envie. Je l'ai découvert comme toi avec Frère Animal, étant un grand fan de Florent Marchet. Depuis j'ai lu la plupart de ses livres, y compris certains de ses livres jeunesse, et je n'ai jamais été déçu.
J'ai eu la chance de rencontrer Arnaud Cathrine il y a une semaine lors d'une conférence sur son dernier livre (superbe d'ailleurs), c'est un auteur très sympathique et d'une grande gentillesse.