La douane volante est un roman d'apprentissage de facture classique : le jeune Gwen va peu à peu grandir, mûrir, à travers toute une série d'épreuves initiatiques. Dès les premières pages, le lecteur s'interroge sur cette étrange contrée : si les paysages font penser aux Pays-Bas, le mode de vie des habitants ressemble à celui du Moyen-Âge. Gwen est-il mort ? A-t-il remonté le temps ? Pourquoi l'Ankou l'a-t-il envoyé ici ? Ces questions, que l'on pourrait croire essentielles, sont vite reléguées au second plan et François Place concentre son récit sur les moyens que Gwen met en place pour s'intégrer à cette nouvelle société. Aidé du Pibil, petit oiseau aux étranges pouvoirs, Gwen va mettre en pratique ses dons de guérison et devenir, non sans mal, un citoyen à part entière de cette terre d'accueil.

Quand Emmyne a parlé de ce roman sur son site, j'ai tout de suite été emballée par ce qu'elle en disait, d'autant que mon fil a fait il y a peu un exposé sur la Bretagne et que nous avions tous les deux fait des recherches sur la légende de l'Ankou. Ce qui frappe dès les premières lignes, c'est l'élégance de l'écriture de François Place. Qu'il est bon de lire un roman jeunesse où la langue française est magnifiée, fluide et poétique ! En quelques mots, l'auteur installe son décor et l'on sent immédiatement que le voyage sera différent de ce que propose la littérature jeunesse actuelle : point de vampires ou d'actions en cascade mais un récit qui mêle légendes et fonctionnement d'une société féodale et qui prend le temps de décrire chacun des protagonistes.

On aimerait donc pouvoir plonger corps et âme au côté du jeune Gwen dire de ce roman qu'il est merveilleux, palpitant et indispensable. Et pourtant, malgré toutes ces qualités, le charme n'opère pas. Si l'écriture est remarquable, François Place ne parvient pas tenir son lecteur en haleine, et bien vite on suit les aventures du jeune Gwen avec distance et perplexité. Distance car, même si les personnages sont bien campés (on pense à Silde, Daer, Nez-de-cuir ou encore Saskia), on ne parvient jamais complètement à s'attacher à eux. Perplexité car au fure et à mesure de la lecture on s'interroge sur les enjeux du récit. Qu'a voulu nous conter François Place ? Pourquoi situer l'action de son histoire entre 1914 et 1918 si c'est pour totalement gommer cet ancrage historique à l'intérieur de sa narration ? Et quel est cet étrange pays ? Pourquoi Gwen ne semble pas si pressé de résoudre ce mystère ? La fin du roman n'apporte malheureusement pas d'éclairage suffisant pour permettre au lecteur de reconstruire le puzzle.

Au fil de ma lecture, je me demandais comment ce roman serait accueilli par le public auquel il est destiné. Que comprendront-il de ce roman et se laisseront-ils happer par les aventures du jeune Gwen ? Je devrais avoir quelques éléments de réponse dans les prochaines semaines, puisque Quentin a lui aussi très envie de le lire, mais l'adulte que je suis reste finalement déçue : malgré son très bel écrin, La douane volante ne m'a pas convaincue.

(D'autre avis dans la blogosphère : Emmyne, Clarabel, Malice, SBM, Fashion et Esmeraldae)

Laurence

Extrait :

C'est une sorte de roulement de tambour qui m'a sorti du lit. La porte de dehors était grande ouverte, et une odeur de terre humide envahissait la pièce. On se serait cru au fin fond d'un caveau. Une charrette manœuvrait dans la cour. Elle était noire et tirée par un cheval noir. L'homme qui menait le cheval était, lui aussi, tout de noir vêtu, et couvert d'un chapeau si noir que son profil disparaissait dans son ombre. La charrette s'arrêta devant le seuil, ses grandes roues cerclées de fer encadrées par la porte. L'homme restait en retrait, raide comme un bois de justice. Je frissonnai d'un coup. Comment ne pas reconnaître cet attelage, si parfaitement incrusté dans les ténèbres de la nuit ? Quand il est là, on sait qu'il est trop tard. On ne peut lui échapper. L'homme ne prononce pas un mot. On ne voit que son dos. Il attend. Rien ne vient, rien n'affleure, ni les larmes, ni le rire, ni la peur. Car on sait que c'est lui, l'Ankou. « Celui du Grand Voyage. » On est sans résistance, sans volonté, sans espoir. On se voit faire les gestes de sa propre perte, on enfile sa veste, on referme la porte, on fait les trois pas nécessaire, on se hisse sur le plateau de la haute carriole, et, debout, cramponné à la ridelle, secoué par les cahots, on ne laisse emporter.


La douane volante de François Place - Éditions Gallimard Jeunesse - 334 pages (à partir de 13 ans)