Un monde étrange, lointain et pourtant tellement semblable à celui que l'homme connaît.
Un univers plutôt médiéval, une technologie quasi inexistante et l'arrivée de l'homme qui va bouleverser tout ça.
C'est dans cet environnement qu'évolue Méline, ambassadrice du Conseil de l'humanité (la Yoomanité, ainsi qu'on l'appelle). Themys, son époux, la rejoint quelques temps plus tard et découvre à son tour Azir et les Aziris. Il fait la connaissance de Nerbrume, l'une des Chorê les plus importantes de la planète, à l'ambition démesurée.
A elles deux, Méline et Nerbrume vont sceller le sort d'Azir, tandis que Themys s'isole dans la pratique du Lo-Yendi, sport populaire mais extrêmement dangereux.
L'interdiction formelle de pratiquer ce sport et l'ingérence du Conseil de l'humanité vont faire basculer cet équilibre instable qui régissait Azir jusque là. L'homme ne peut-il pacifiquement s'établir quelque part ?

Ayerdhal est un auteur français aux écrits engagés.
Volontiers polémique, légèrement provocateur, il enfonce des clous là où ça pique.
Ici, il s'agit d'un problème régulièrement soulevé : l'ingérence de l'homme dans tout ce qu'il approche. Que ce soit un nouveau territoire, une planète, une lune, l'homme a la volonté farouche de s'approprier ce qu'il convoite. Si ce n'est par la force, ce sera par la diplomatie. L'Histoire, à ce niveau, n'est malheureusement qu'un éternel recommencement... Que l'on pense à la conquête de l'Ouest, ou encore aux massacres entre espagnols et portugais en Amazonie (avec les indiens au milieu)... Sur la Lune, nous avons un drapeau. Plusieurs peut-être. Et je ne cite pas les nombreux films (dont un tout récemment) reprenant ce thème...

Encore une fois, Ayerdhal nous propose une histoire bien loin de nous, mais ayant une dimension "universelle", à vocation d'enseignement. Chacun peut en tirer ses propres conclusions. A travers les personnages de Nerbrume, Méline, Thémys, Garth, Le Garim et Cébane, chacun peut trouver son compte, son combat, sa vision du monde dans lequel il vit. Car tout l'intérêt est là : questionner le lecteur. Lui renvoyer une image du monde tel qu'il est / sera et tenter, par ce biais, de lui faire ouvrir les yeux.
C'est là qu'est la force des livres d'Ayerdhal. Ils n'ont aucun sens s'ils ne sont pas mis en relation avec notre quotidien. Sans ça, ce serait juste une belle histoire.

D'ailleurs, l'histoire en elle-même est intéressante. Basée essentiellement sur la vision politique et les relations diplomatiques entre Nerbrume et Méline d'un côté, la pratique sportive du Lo-Yendi de Themys et ses idées contestataires de l'autre. C'est une histoire en deux temps, une vision pour l'avenir qui est si criante d'actualité qu'on ne peut s'empêcher de faire des parallèles.

Un roman, finalement, à apprécier largement et à garder en mémoire comme un témoignage actuel de notre futur.

Du même auteur : Demain une Oasis, Chroniques d'un rêve enclavé, Résurgences

Cœurdechene

Extrait :

Themys n'avait pas songé une seconde au coût que représentait la traversée du fleuve Dasham. Il comprit instantanément pourquoi le passage était gratuit. La propulsion du bateau était en partie assurée par les rames que maniaient ses passagers, le reste étant affaire de voiles grossières que le vent d'est gonflait à peine.
  - Vous n'avez pas de chance, affirma Garth. Les vents latéraux sont rarissimes. Une bonne brise de mer ou de terre et nous n'aurions pas à ramer.
Themys n'eut pas à ramer longtemps, la nage comportant beaucoup moins de sièges que de passagers et sa technique de profane ayant tout de suite provoqué l'hilarité de la moitié du bateau, un Aziri lui posa une main sur l'épaule et lui offrit son premier sourire extra-humain.
  - Je crois que je serais plus efficace à ton banc, Noble Donneur, se proposa-t-il.
Themys ne se fit pas prier. Il rassembla péniblement une phrase azirie dans ce que celait sa mémoire et céda la place.
  - Je suis surtout doué pour faire rire, reconnut-il, merci.
  - Savoir faire rire est plus important que savoir ramer.
Themys dut faire de violents efforts cérébraux pour répliquer dans un délai raisonnable.
  - ça dépend surtout de la longueur de la traversée.
Trois cent paires d'oreilles aziries étaient accrochées à ses lèvres balbutiantes, elles frémirent juste assez pour que la barge entière tremblât d'un rire bon enfant.
  - Si tu as besoin d'un rameur ou d'un skipper pour faire le tour du monde, Noble Donneur, demande Le Garim... Plus le voyage est long, plus j'ai besoin de rire.
Le temps de recomposer une phrase, Themys sentit l'humeur du bateau retenir son souffle, mais ce n'était pas qu'elle attendait un nouveau trait d'esprit, c'était que Le Garim avait dit quelque chose d'anormal. Il chercha une explication sur le visage de Garth, mais Garth souquait impassiblement.
  - C'est étrange, dit-il finalement, en bateau, moi, j'ai davantage envie de vomir.
Les rires furent moins francs, le fil avait été rompu.
  - Je m'appelle Themys, conclut Themys. Quand il te manquera un incompétent, viens me chercher, je suis capable de rater n'importe quoi dans la bonne humeur.


Balade Choreïale d'Ayerdhal - Éditions Au Diable Vauvert - 379 pages