Dès le départ, il faut savoir que l'auteur sait de quoi elle parle quand elle nous décrit le travail minutieux de reliure effectué par son héroïne Mathilde. En effet, toutes deux ont embrassé la carrière de diplomate avant de se tourner vers le métier de relieur. Il ne faut donc pas être étonné de lire une histoire si bien documentée sur les matières, les outils utilisés par l'artisan relieur. Ce roman ne se veut pas docte pour autant. Tout est si doucement amené que l'on est imprégné par tout l'amour de ce métier qui se dégage des mots de Anne Delaflotte Mehdevi.
On aurait envie d'être aux côtés de Mathilde à travailler les cuirs, à veiller à la température de la colle.
Mais La relieuse du gué n'est pas qu'une histoire de restauration de livres. C'est aussi celle d'une nouvelle vie qui commence pour Mathilde, les soucis de son installation et des clients qu'il faut prospecter. C'est l'histoire d'un mystère autour d'un beau et troublant homme de la forêt et qui va disparaître trop vite. L'histoire aussi d'un livre précieux pour son propriétaire, précieux également par son contenu. C'est surtout une histoire d'amitié profonde entre Mathilde et d'autres artisans de la rue du gué. Une jolie galerie de portraits très bien peinte.
Il y a André le boulanger. André bon et rond comme une de ses brioches ou chouquettes qu'il apporte tous les matins à Mathilde, pour leur papotage du matin. Et puis il y a Sébastien le cordonnier au caractère bien trempé parfois même un peu loufoque, qui ne peut travailler qu'en faisant hurler des rock ou morceaux de jazz endiablés. On ne peut citer tous ces personnages secondaires mais ils sont essentiels à la nouvelle vie de la relieuse.
Tout dans cette histoire est délicatement présenté : les voisins donc, la vie dans cette rue du gué, la forêt alentour, ses parfums boisés et humides envoutants, le travail dans l'atelier et l'enquête pour en savoir plus sur le propriétaire du bel ouvrage. Bien des mystères devront être élucidés en évitant les embûches que certains placent sur son chemin.
Et puis il y a Cyrano. Mon cher Cyrano ! Comme on a tous un ouvrage que l'on lit et relit surtout aux moments de doutes, pour y trouver réconfort et énergie, Mathilde se plonge dans la lecture du Cyrano de Bergerac d'Edmond Rostand. Tout le roman est fort judicieusement ponctué de passage de la pièce. C'est un délice sans nom.
Pour un premier roman, La relieuse du gué est une jolie petite réussite même si on peut lui reprocher une héroïne un peu passive, presque dolente parfois. Mais rien de grave. Ses aventures aux côtés de ses voisins sont plaisantes à suivre. Et puis est-il toujours besoin de courir ?
Si vous voulez vous accorder une douce pause, être comme hors du temps, laisser de côté des lectures au rythme endiablé, ce roman à la belle écriture est fait pour vous.
Dédale
Extrait :
Il me remit le livre, évitant soigneusement de poser les yeux sur moi ou sur l'objet qu'il me tendait, fixant son regard devant lui, vers le jardinet muré. Je recentrait la lumière au plus près du plateau, la braquai sur le livre. Comme l'homme, il n'était pas banal. Belle facture, grand format de trente centimètres sur quarante environs, dense de beau papier et, à ma grande surprise, relié à l'allemande.
- Il a été relié en Allemagne . En Europe centrale ?
- Je ne crois pas.
Mon grand-père, « maître relieur », était allemand, c'est sa manière que j'avais d'abord apprise. Lorsque les clients m'en laissaient le choix, je reliais comme lui. Les couvertures ne sont pas montées de la même manière selon que l'on pratique la reliure à l'allemande ou à la française.
Les couvertures de ce grand livre-là étaient recouvertes de maroquin couleur d'un caramel blond. Les plats étaient au recto comme au verso incrustés en leur centre d'un arbre, de la forme qu'aurait l'ombre d'un arbre feuillu. Cette forme était de maroquin couleur chocolat. La couronne de l'arbre en plusieurs endroits était décollée. Le cuir fin de la base des troncs s'enroulait vers l'extérieur en un petit copeau.
La relieuse du gué de Anne Delaflotte Medhevi - Gaïa Éditions - 268 pages
Commentaires
mardi 9 mars 2010 à 08h53
Je l'avais lu à sa sortie et l'avais vraiment trouvé plein de charme, même si l'intrigue est cousue de fil blanc...
mardi 9 mars 2010 à 11h38
Je viens de le lire et j'ai vraiment beaucoup aimé, pour l'mbiance plus que pour l'intrigue, mais c'est un coup de coeur pour moi
mardi 9 mars 2010 à 19h05
Je crois que je vais m'intéresser à cette relieuse lorsque j'en aurai terminé avec la sélection...
mardi 9 mars 2010 à 21h30
Cathe, Sandrine (SD49), merci pour vos avis éclairés. Il est vrai que l'intrigue est simple. Mais parfois cela fait du bien justement
Marimile, bon programme en perspective
mercredi 10 mars 2010 à 17h09
Je l'avais lu dès sa sortie et je me souviens de cette gentille histoire avec plaisir. En plus dans ma ville, Vernon, il y a une relieuse qui a son atelier dans une ancienne rue pavée qui descend vers la Seine, comme dans le roman qui aurait pu se passer ici. Je lui ai d'ailleurs offert le livre qu'elle a trouvé très juste sur le registre "professionnel". Un livre très agréable et c'est vrai que ça fait du bien de temps en temps un peu de légèreté "intelligente".
jeudi 11 mars 2010 à 12h17
Moi aussi j'ai vraiment adorée ce livre... Un coup de coeur pour moi aussi.
Un livre délicieux...
jeudi 11 mars 2010 à 19h56
Nathalie, c'est très sympathique d'offrir un livre à lire à une relieuse
Joli geste, ma foi. Et jolie expression aussi que celle de "légèreté intelligente" 
L'or des chambres, merci pour cette visite. Décidemment, jusqu'à présent, cette histoire fait l'unanimité
samedi 27 mars 2010 à 09h30
je me joins à ceux qui ont pris grand plaisir à la lecture de ce livre .Une bouffée d'oxygène dans nos vies souvent trop remplies .L'envie d'un grand tour en foret pour nous gens de la ville.Une lecture rafraichissante ,un peu technique quand on ne connait rien à la reliure , mais je rejoins Nathalie dans son jugement "légereté intelligente " me plait!
mardi 13 avril 2010 à 19h35
Un livre d'une lecture agréable, le plus intéressant étant sans doute l'aspect technique du travail de la reliure:on regarde ensuite ses livres d'un autre oeil! quant à l'intrigue,disons qu'elle est cousue de fil blanc et un peu style Arlequin, mais bon, pourquoi pas? j'ai bien aimé par ailleursla teinte rosée du papier utilisé par Gaia ,en accord avec la tonalité du roman.
mercredi 14 avril 2010 à 20h22
Sylvaine, je suis d'accord pour les bienfaits de ces promenades en forêt. Quant à l'aspect technique du travail de reliure, même s'il est technique, il est bien présenté pour que cela ne soit pas repoussant. Pour ma part, cela m'a beaucoup intéressé.
Marimile, oui, il faut lire cette histoire en oubliant un peu l'intrigue courrue d'avance. Mais bon, de temps en temps, cela ne fait pas de mal d'être un peu fleur bleue
Une pierre deux coups en somme.
Quant au papier rose des éditions Gaïa, je crois que c'est voulu. Non pas pour le côté "histoire à l'eau de rose" mais bien pour procurer un meilleur confort de lecture (si j'ai bonne mémoire de l'info lue un jour). Et puis en plus, on repère plus facilement cette édition sur les rayonnages dans les librairies
mercredi 14 avril 2010 à 21h24
Effectivement, les éditions Gaia indiquent que le papier rose ajoute au confort de lecture .De toute façon,ce livre en tant qu'objet est un joli ouvrage ,bien en accord avec son sujet. Je n'avais pas pensé au repérage dans les rayonnages des librairies...
samedi 17 avril 2010 à 07h38
Marimile, c'est un argument que j'ajoute car à déambuler dans les rayons, cette couleur rose du papier m'a souvent bien aidé