Trois nouvelles, donc. Toutes se déroulent en Irlande. Il y fait froid ou il pleut. L'ambiance est pleine de mélancolie comme dans tous les ouvrages de Colum McCann. C'est un peu normal si l'on tient compte de l'empreinte de l'Histoire du pays sur ses habitants. Dans ces trois nouvelles, cette Histoire troublée, violente marque les personnages ou même les blesse profondément jusque dans leur quotidien.
Dans la nouvelle qui titre ce recueil, une jeune fille est seule avec son père en deuil. Il ne se remet pas de décès de sa femme et de son fils lors d'un accident avec un camion de militaires (des anglais ?). Sa haine à l'encontre des militaires est telle que le soir où sa jument de trait reste coincée dans le lit de la rivière en crue et prête à se noyer, il apprécie guère le sauvetage de sa bête par d'autres militaires. Le fossé est trop profond, la haine incommensurable.
Avec Le bois, on suit un garçon qui aide sa mère à fabriquer en secret du père des hampes de bois destinées aux défilés orangistes. Le père, ébéniste reconnu, s'est toujours refusé à un tel travail. Paralysé après une crise cardiaque, il ne peut plus travailler. Sa femme accepte la commande de 40 hampes. C'est la complicité entre la mère et son fils aîné que nous donne à partager l'auteur. Enfermés dans l'atelier, tout deux vont travailler le bois en catimini mais avec de plus en plus d'assurance. C'est subtil, tout en nuances, en silences et non-dits.
Puis vient Une grève de la faim. Là, un adolescent suit la grève de la faim de son oncle emprisonné. Le gamin trimbale un ennui pour la ville où il est installé avec sa mère. Il déambule sans but dans les rues, entre les allées du cimetière et pense très souvent à son oncle. Par touches successives, McCann aborde la vie politique de l'Irlande lors d'une de ses périodes de grande violence. C'est la lutte à mort entre le gouvernement Tatcher et les militants emprisonnés qui réclament le statut de prisonnier de guerre ou politique et non pas celui de simples criminels. Les premières actions ayant échouées, la grève de la faim fera-t-elle baisser la garde à la Dame de Fer ? On sait maintenant ce qu'il en a été. Pris dans un pays bouleversé où les enjeux politiques et identitaires sont importants, l'adolescent se cherche désespérément et se raccroche à cet oncle qu'il ne connaît pas.
Dans les histoires de Colum McCann, il y a ces personnages somptueux de fragilité et de force, blessés mais allant de l'avant. Il y a aussi les paysages, l'ambiance où ces êtres évoluent.
C'était donc la ville de Galway, où sa mère avait autrefois passé ses étés : soleil, flèches d'églises, boîtes aux lettres vertes, l'applaudissement sobre des mouettes, les montagnes déployées au loin tel un don de simplicité.
Avec McCann, on sait que ses histoires et personnages vont être empreints de mélancolie mais pas jusqu'à la tristesse. Tout est écrit en silences éloquents, de petites phrases rythmées comme au métronome. Le résultat est plein de subtilité, de délicatesse. Tout y est juste et marquant. Et c'est beau.
Du même auteur : Et que le vaste monde poursuive sa course folle, Les saisons de la nuit
Dédale
Extrait :
Le gamin, qui regardait du haut du promontoire au-dessus de la ville, vite le vieux couple sortir le kayak jaune de la maison. Ils le hissèrent avec difficulté sur leurs épaules et le portèrent vers la digue.
La vieille femme marchait derrière. L'homme, légèrement courbé, mesurait tout de même une bonne tête de plus qu'elle. Elle tenait le bateau aussi haut qu'elle pouvait mais il penchait tout de même vers elle. Leurs visages perdus dans l'ombre, ils avançaient lentement sur la route goudronnée. Entre eux, reposant sur chaque épaule, il y avait les pagaies. Dans leur progression, l'homme et la femme évoquaient un étrange et charmant insecte. Quand ils arrivèrent au bord de la digue, ils firent glisser le kayak jaune de leurs épaules et entreprirent de le mettre à l'eau. Comme la marée était basse, ils se servirent de longues cordes pour descendre l'embarcation. Elle toucha l'eau sans presque une ondulation. Ils restèrent un moment à parler et le soleil brilla à travers leurs vêtements, dessinant la forme sombre de leurs corps.
Elle était maigre comme un clou et le vieil homme avait de la bedaine.
Il fit un geste vers la mer puis se retourna et descendit l'échelle rouillée en se tenant aux barreaux. Même dans sa lenteur ses mouvements étaient fluides. Il se planta fermement dans le kayak et posa la pagaie au milieu, au travers, pour empêcher le bateau d'osciller. La vieille femme le suivit prudemment sur l'échelle. Une brise souleva sa robe et le vieil homme lui toucha l'arrière des cuisses. Elle se retourna et sembla émettre un petit rire, et il la guida de l'échelle dans l'un des trous d'homme. Lorsqu'elle posa le pied, le kayak hoqueta sur l'eau.
Ailleurs, en ce pays de Colum McCann - Editions 10-18 - 144 pages
Traduit de l'anglais par Michelle Herpe-Voslinsky
Commentaires
jeudi 18 février 2010 à 23h18
Ca donne envie. Je ressors de "Et que le vaste monde poursuive sa course folle" enthousiasmée.
Et je recommande aussi à ceux qui l'apprécient la lecture de "Zoli" une femme tzigane au destin hors du commun.
vendredi 19 février 2010 à 20h12
J'espère que tu succomberas à cette tentation, Alice-Ange.
dimanche 21 février 2010 à 11h02
Dédale, tu m'as donné envie, je viens de le commander.
dimanche 21 février 2010 à 12h49
Je croise les doigts pour que tu ne sois pas déçu, Gatsby. Mais y a peu de risque avec C. McCann !!
samedi 27 février 2010 à 17h03
@ Dédale. Je viens de refermer "Ailleurs, en ce pays". J'y ai trouvé tout ce qui me comble. Le genre d'abord, des nouvelles. Court mais dense. Une écriture serrée, mais riche de sa sobriété. Et puis, souvent, les yeux qui quittent la page pour mâchonner une phrase et laisser exploser des images, des sensations, des impressions (l'encre de la page "carbonant" la sensibilité du lecteur). Merci Dédale. Et comme la vocation de ce blog est avant tout de partage, je te recommande une lecture récente : "Pas ici, pas maintenant" de Erri de Luca (Folio N° 4716).
samedi 27 février 2010 à 17h31
Gatsby, si tu savais comme je suis contente que tu ais aimé ce recueil.
Je note immédiatement le Erri de Luca dont j'amais d'ailleurs, il y a longtemps; aimé Trois chevaux.
Je ne peux évidemment que te conseiller la lecture des autres ouvrages de cet auteur de grand talent. A lire notamment Le chant du coyotte et "Les saisons de la nuit", mais attention au carbonnage de sensibilité