24 avril 1921, dans la même ville. Les fascistes commencent à avoir du poids dans les affaires du pays, et les actes de violence entre fascistes et communistes sont nombreux. Ce soir-là, trois jeunes hommes détestant les communistes décident de faire de Michele Lopardo, un des leaders du camp adverse, leur cible. Au détour d'une rue sombre, Nino Impallomeni, Titazio Sandri et Lillino Grattuso se ruent sur Lopardo, et provoquent une bagarre malheureusement habituelle. Sauf que Lopardo est armé, et qu'il décide de tirer deux coups en l'air, pour effrayer les assaillants. Mais lorsqu'ils se relèvent, Lillino reste à terre, mortellement blessé par balle. Tout accuse Lopardo, et la police, fière de servir les intérêts fascistes, décide de ne pas poursuivre trop longuement l'investigation. Mais quelques fonctionnaires, intrigués, décident de trouver la vérité sur la mort de Grattuso, malgré l'hostilité d'une grande partie de la population.
A partir de deux faits divers, Andrea Camilleri retrace dans Privé de titre la vie dans cette bourgade insulaire durant les années 20. Le premier de ces faits divers est la mort de Grattuso, dont Camilleri change le nom dans l'ouvrage (comme celui de tous les protagonistes, d'ailleurs). Grattuso, soi-disant mort pour avoir défendu ses opinions devant un ennemi aussi vil qu'un communiste, a payé son engagement au prix fort. Sa mort bénéficie, grâce à l'ambiance propice aux fascistes, d'un hommage qui lui est rendu annuellement, et une rue portera même son nom.
Le second fait divers que relate Camilleri concerne la ville de Mussolinia. Au cours d'un déplacement en Sicile, les responsables locaux ont l'idée de mettre sur pied une ville, là où il n'y a rien pour le moment qu'une forêt. Mussolini doit, lors de son passage, poser la première pierre. Mais une fois parti, le projet est oublié par tous, sauf par Mussolini qui tente, quelques années plus tard, de savoir où en est la construction de cette cité. Les responsables locaux, pris de cours, sont obligés de recourir à des montages photographiques pour tromper le Duce. Mais lorsqu'il découvre la supercherie, les têtes tombent.
A travers ces deux faits divers, Camilleri décrit la montée du mouvement fasciste en Sicile, sa terre d'origine. Grattuso, tué en pleine rue, est longtemps resté le seul martyr fasciste reconnu de l'île, mais les compléments d'enquête, et l'oubli font que si son statut de martyr est resté, la raison de sa mort a été oublié. Camilleri dépeint également les amitiés dont ont bénéficié les fascistes, que ce soit auprès de policiers ou de journalistes.
Au niveau de la forme, Camilleri utilise bien entendu le récit, entre scènes d'action et description des différents protagonistes. Il y ajoute des documents d'époque, dont on ne sait s'ils sont vrais ou non, mais qui donnent à l'ensemble une tonalité très réaliste : des articles de journaux, tirés de différents titres, ou des rapports de police, des lettres adressées à Mussolini,... Un autre trait caractéristique, et déroutant, concerne le vocabulaire utilisé par Camilleri. Sicilien, il écrit en italien en utilisant beaucoup de termes issu du jargon de sa terre natale, que beaucoup d'italiens ne comprennent pas. Le traducteur (ou la traductrice, je ne sais), Dominique Vittoz, rend compte de cette spécificité en intégrant dans le texte beaucoup de termes lié à un jargon ou à un patois que je connais pas. Ainsi, les verbes apincher, chapoter, quincher et autres sont monnaie courante. Cet aspect est déroutant, donc, mais n'empêche heureusement pas la compréhension globale.
Andrea Camilleri signe donc un joli petit roman, entre policier et historique, où l'on sent l'amour pour la Sicile et sa défiance face à la montée du mouvement fasciste. Un livre court, mais riche et avec beaucoup d'idées de narration différentes et intéressantes.
Du même auteur : L'opéra de Vigàta
Extrait :
En phase de montage, à la moviola, l'arrêt sur image permet de bloquer un photogramme pour l'étudier en détail.
Michele Lopardo, de dos, est habillé en dimanche, avec un habit que mange de viande, veste sombre et pantalon clair, un chapeau mou sur la tête. Il n'a pas de canne.
Il vient de tourner à l'angle du cours Vittorio-Emanuele et se trouve devant la rue Arco-Arena qu'il doit remonter, pour tourner ensuite encore à gauche et arriver à l'estaminet de Santa Pitronilla.
La silhouette de Lopardo coupe le photogramme en deux sur toute la hauteur en occupant entièrement la partie, on ne voit par conséquent, et difficilement, que le côté gauche de la rue Arco-Arena qui, étant courte, n'a guère de profondeur sur l'image.
En haut à gauche, grâce à la luminosité qui arrive sûrement du cours Vittorio-Emanuele, on distingue assez nettement un éclairage mural qui à cette heure-ci devrait être allumé, mais ne l'est pas.
En effet la tête de Michele Lopardo est légèrement relevée et tournée vers la gauche, montrant un début de profil car il regarde justement cette lampe en se demandant à coup sûr pourquoi diable elle est éteinte.
D'après l'image, on dirait qu'il a eu l'idée d'accompagner son mouvement de coqueluchon d'un geste de la main gauche, le bras est un poil détaché du corps.
Privé de titre d'Andrea Camilleri - Éditions Le Livre de Poche - 281 pages
Commentaires
mercredi 24 février 2010 à 18h15
J'ai décroché très vite. Le parti pris du traducteur freinant et dérangeant ma lecture. C'est vraiment regrettable.
jeudi 4 mars 2010 à 13h55
Je comprends votre désarroi face au parti-pris du traducteur, mais il me semble qu'il est justifié par le fait queCamilleri utilise lui-même, en italien, beaucoup d'argot. Après quelques doutes, j'avoue que cela ne m'a vraiment gêné dans ma lecture.