Sélection du Prix Biblioblog 2011
(Lire les avis des autres membres du jury des Biblioblogueurs)

Yvon Toussaint, journaliste belge, découvre en 2008 l'existence d'un sénateur haïtien qui porte le même nom que lui. Ou plutôt portait, car ce dernier a été assassiné devant chez lui en mars 1999. Intrigué par cet homonyme au destin tragique, Yvon Toussaint décide de s'embarquer pour Haïti pour enquêter sur la mort de cet homme. Mais la recherche de la vérité s'accompagne d'une découverte de ce pays et d'une introspection, rendue encore plus délicate du fait de la proximité liée à ces nom et prénom qu'ils ont en commun.

Yvon Toussaint décide, dans ce roman, de rendre compte de son périple. Mais loin d'écrire un journal de bord de son voyage, il décide d'y insérer des éléments de fiction, qu'il ne distingue pas du reste. Il prévient le lecteur du roman de ce choix dès les premières pages, et il est effectivement impossible de démêler le faux du vrai. D'une simple enquête policière, qui débute par la visite des proches (la première femme, la mère, les enfants légitimes ou non), Yvon Toussaint fait peu à peu de son ouvrage une plongée intime dans ce pays qu'est Haïti.

Car en définitive, la vrai héros du livre, ce n'est ni Yvon Toussaint le journaliste ni Yvon Toussaint le sénateur, mais cette terre qu'est Haïti. En débarquant dans cette île dont la géographie lui fait penser à une grande mâchoire, Yvon Toussaint ne sait pas ce qu'il y trouvera. Au fil des rencontres, avec des amis du sénateur, des personnalités locales comme cet acteur qui lui offre un spectacle dans un ancien grand hôtel, il apprend à connaître les coutumes de ce territoire et de ce peuple. La corruption et la dissimulation des faits problématiques sont monnaie courante, comme le montre le peu de recherches effectuées après la mort du sénateur. Est-ce un règlement de comptes décidé par l'ancien président Aristide ? Est-ce un meurtre commandité par les laboratoires pharmaceutiques contre lesquels Toussaint, médecin de formation, se lève ? On ne connaitra pas le mot de la fin, mais la mort de Toussaint est bien le symbole de cette corruption, comme le sont aussi les meurtres des personnes sur lesquelles Toussaint s'appuie pour mener son enquête.

L'autre grande découverte du journaliste est celle du vaudou. Contrairement ce qu'il peut penser au départ, il découvre que Toussaint est un adepte du vaudou. Originaire des plateaux du centre de l'île, il est un adepte des préceptes des loas, ces dieux qui dictent leurs lois aux disciples. Il apprend aussi que si les vivants ne peuvent pas parler aux morts, les morts peuvent eux chevaucher les vivants : ils prennent possession des vivants et leur dictent leurs faits et gestes. Yvon Toussaint, en apprenant cette pratique, s'inquiète alors de l'éventuel chevauchement que pourrait pratiquer sur lui l'ancien sénateur.

Car Yvon Toussaint le journaliste est également au cœur du livre, même si la narration se cache derrière une seconde personne du singulier qui amène une proximité troublante avec ce narrateur. Ce voyage à l'étranger est l'occasion pour lui de faire un retour sur sa propre vie, et avoir une réflexion sur ses actes. Roman à la fois plein de mystère et d'exotisme, avec sa petite part de folklore, mais aussi d'introspection et d'enquête, L'assassinat d'Yvon Toussaint est une belle lecture. Elle permet de rencontrer ce pays avant qu'il ne soit touché par le séisme qui l'a frappé (et que Toussaint évoque, comme par anticipation, tant les éléments naturels jouent un rôle important dans ce pays).

Yohan

Extrait :

 - Mais pour en revenir à votre Yvon Toussaint, vous n'avez tout de même l'intention d'affabuler d'un bout à l'autre ?
- Certainement pas. Au contraire, les fragments de réalité que je vais recueillir seront comme les tenants et les mortaises de l'ouvrage. Je vais avoir des égards pour ce type et respecter ce que j'apprendrai sur lui comme s'il s'agissait de moi-même. Simplement, je me reconnais le droit de combler avec du vraisemblable tout ce qui me paraîtra utile à la compréhension du personnage. Je tiens beaucoup au factuel, mais il devra se révéler solide et autant que possible vérifiable. Ce qui n'empêchera pas la fiction dont je badigeonnerai le récit d'être, elle, tout à fait arbitraire. Voire onirique ! Car je pourrai toujours me réfugier derrière Valéry qui pense que le rêve est une hyptothèse féconde...


L'assassinat d'Yvon Toussaint de Yvon Toussaint - Éditions Fayard -  375 pages