Les trois premières nouvelles portent les noms de leur protagonistes, Pawel, Mietek et Grzesiek. Le premier déambule dans le village et observe les marchandises sans jamais rien acheter. Mietek rêve de partir rejoindre son frère à Katowice mais chaque jour, il ne va pas plus loin que le troquet du coin. Quant au dernier, perdu dans ses réflexions sur la sur-consommation, il traverse la montagne pour vendre sa voiture. L'avant dernière nouvelle suggère un voyage, Paris - London - New-York, mais ce ne sont que les étiquettes des vêtements que vend Heniek et qui font rêver les femmes du village de Bodaki. Enfin, L'hiver prend pleinement possession des lieux et dans les maisons, on attend que la déneigeuse dégage les routes.

Malgré la brièveté des textes et la simplicité des intrigues, L'hiver est un recueil qui se déguste lentement, tant l'écriture d'Andrzej Stasiuk est dense. La première impression est cette sensation d'immobilité totale; la neige recouvre tout, paralyse et étouffe les bruits.

Tout est immobile, silencieux, lointain. Notre région commence à faire penser à une maquette de l'éternité. Les formes deviennent idéales, les différences s'estompent, les températures s'égalisent et le détail, celui où loge le diable, se porte mal. [...] L'hiver est une ruse des idées qui se déguise en matière pour nous entraîner sur la voie de la tentation en créant des contours arrondis, des trajectoires circulaires ou des figures harmonieuses annonçant la réalité idéale d'une goutte de logos dissoute dans un verre de cosmos.

Mais cette sensation d'immobilité est un leurre. En réalité, dans cette contrée qui semble oubliée du reste du monde, la vie bruisse pour qui sait l'écouter. Si les personnages d'Andrzej Stasiuk paraissent tiraillés entre leur terre et un Occident plein d'espoirs et de craintes, cet ailleurs semble en réalité si loin d'eux qu'il en devient presque irréel; alors pourquoi s'en faire... À l'image de Pawel, qui se contente de regarder les objets plutôt que de les acheter, les personnages de ce recueil sont des contemplatifs, un brin nostalgiques.

Pour apprécier ce recueil, le lecteur doit se faire patient, attentif au moindre détail, à l'écoute de ces frissons de l'air qui modifient de manière infime le paysage. L'écriture précise et poétique d'Andrzej Stasiuk met tout cela en lumière avec talent pour qui sait prendre le temps. Ce ne sont pas des histoires, au sens classique, mais des tableaux d'une Pologne qui mue sous l'apparente tranquillité.

Laurence

Extrait :

Et l'éclat métallique de la lune suinte du cosmos comme si elle aussi était une machine élégante et simple qui bénirait ses frères terriens et, au passage, les reliques des objets pétrifiés à jamais, enlisés dans les couches alluviales du temps. Et nul ne sait si les choses qui ont vécu et sont mortes seront sauvées, si quelqu'un les ressuscitera et les remontera, si un mécanicien eschatologique les bidouillera avec un tournevis céleste et leur insufflera une nouvelle réserve, éternelle cette fois, de chevaux mécaniques ou de kilowatt. Ou si leur infinitude aura la forme païenne du retour aux sources et donc à la décomposition en formes premières.

L'hiver
L'hiver d'Andrzej Stasiuk - Les Éditions Noir sur Blanc - 84 pages