Une amitié étrange naît entre les deux hommes. Celle-ci, faite principalement d'échanges littéraires, s'interrompt lorsque Rodney disparaît sous l'impulsion d'une de ces crises dont il semble familier. Sans nouvelle et visiblement dépendant de son nouvel ami, l'écrivain débutant part à sa recherche et apprend par son père quel type d'homme il est véritablement : un ancien du Vietnam, psychologiquement ruiné par cette expérience, et a priori incapable de cultiver quelque forme de relation humaine que ce soit. Au cœur du cyclone, la guerre du Vietnam et le destin brisé de la jeunesse dorée américaine. Rodney, étudiant pacifiste soudainement happé par le vertigineux pouvoir de donner la mort, est rentré de l'enfer. Son frère, le fils préféré du père, patriote convaincu, lui, est mort au front.
Rentré en Espagne, le narrateur publie ses premiers livres (dont un certain À petites foulées - titre d’un vrai roman de Javier Cercas), se marie et fonde une famille, tout en ruminant régulièrement cette amitié teintée de malaise et de manque.
Et l’idée jaillit alors que le narrateur pourrait raconter l’histoire de Rodney, parce que, comme dit le narrateur – ou Javier Cercas ? - « écrire est la seule chose qui pouvait me permettre de regarder la réalité sans me détruire ou sans que celle-ci s'abatte sur moi comme une maison en flammes, la seule chose qui pouvait doter la réalité d'un sens ou d'une illusion de sens ».
Je n’ai pas tout aimé dans ce livre. Il y a de longs passages sur la déchéance d’un écrivain lorsqu’il a connu le succès. En plus des deux citations en exergue de Ingeborg Bachemann ou de Jules Verne, on aurait pu rajouter la citation d’Oscar Wilde :
Il y a deux tragédies dans la vie. L’une, de ne pas atteindre ce qu’on désire. L’autre, de l’avoir atteint.
Quand il écrit « Même si j’en étais à peine conscient au début, le succès et la célébrité m’ont très vite avili » on peut supposer que derrière le narrateur écrivain, c’est Javier Cercas qui parle.
Cercas a connu un franc succès international avec Les soldats de Salamine. « Où sont les histoires avant d’être racontées ? - demande Raphaëlle Rérolle dans un article du Monde des livres - Dans la tête des écrivains, ces vampires professionnels ou bien dehors, dans la vie qui les inspire ? Et à qui appartiennent-elles ? Purs électrons libres ou patrimoines privés, que l’on pourrait refuser de céder à autrui ? » Javier Cercas explique dans cet article qu’il laisse affluer un livre plutôt qu’il ne le sollicite : « Je pars d’une image et le reste suit. » Pour À la vitesse de la lumière ce fut l’image d’un homme assis sur un banc public, tranquille, en train d’observer des enfants jouer. « A qui pouvait songer cet homme ? Qu’y avait-il dans sa tête ? »
Personnellement je ne crois pas que Javier Cercas se soit identifier totalement à son narrateur. Je crois plus qu’il se projette dans le personnage de Rodney, un homme épris de littérature, et qui essaie de regarder la vérité en face, et de la décrire, et en considérant que le succès pour un écrivain est la pire chose qu’il puisse connaître.
Pour moi une des erreurs de ce livre c’est qu’il se termine trop tard. Il y a des pages en trop. J’aurais interrompu le récit page 273, avec le départ de Jenny ; « Mais Jenny ne s’est pas retournée, ne m’a pas regardé, de sorte que j’ai pris l’avenue et suis sorti de Rantoul. » Ça aurait pu être une phrase de fin plutôt convenable.
Au lieu de quoi, Javier Cercas nous donne une sorte de postface sur ce qui se passe après, et qui est à mon sens dépourvu d’intérêt pour l’histoire.
Mais çà ne fait rien, on pardonne à Javier Cercas, parce qu’avec À la vitesse de la lumière il parvient à nous questionner sur l’une des questions les plus intéressantes sur l’écriture. Je lui laisse le mot de la fin :
Tous les romans sont autobiographiques. C’est une sorte de strip-tease à l’envers : on part de sa propre expérience, de ce que l’on a de plus authentique, de meilleur et on le cache. La technique littéraire pose des robes, des chapeaux et on devient méconnaissable. C’est cela écrire un roman.
Du même auteur : Anatomie d'un instant, Les lois de la frontière
Alice-Ange
Extrait :
- Si, a-t-il dit, puis il m’a demandé : C’est quoi un écrivain ?
- Comment çà ? Ai-je répondu avec impatience. Un type capable d’aligner des mots les uns après les autres et de le faire avec grâce.
- Exact, a acquiescé Rodney. Mais c’est aussi un type qui se pose des problèmes complexes et qui, au lieu de les résoudre ou d’essayer comme le ferait n’importe quel individu sensé, les rend plus complexes encore. C’est à dire un cinglé qui regarde la réalité et qui parfois la voit.
- Tout le monde voit la réalité, ai-je objecté. Même sans être cinglé.
- C’est là que tu te trompes, a dit Rodney. Tout le monde regarde la réalité mais rares sont ceux qui la voient. L’artiste n’est pas celui rend visible : çà, c’est vraiment du romantisme, bien que pas de la pire espèce : l’artiste est celui qui rend visible ce qui est déjà visible et que personne ne peut ou ne sait ou ne veut voir. Que personne ne veut voir surtout. Parce que c’est trop désagréable, souvent effroyable et il faut vraiment avoir des couilles pour le voir sans fermer les yeux ou partir en courant, car celui qui le voit se détruit ou devient fou.
À la vitesse de la lumière de Javier Cercas - Éditions Babel Actes Sud - 283 pages.
Commentaires
samedi 27 février 2010 à 10h36
Je l'avais lu à sa sortie et, contrairement à toi, j'avais eu un vrai coup de coeur pour ce livre ! Les thèmes évoqués, l'ambiance très "austérienne", l'écriture.. tout quoi
samedi 27 février 2010 à 22h11
Mais moi aussi j'ai eu un vrai coup de coeur pour ce livre ! Hormis les quelques pages de trop, je trouve ce livre remarquable. une belle réflexion sur l'écriture, le succès et la littérature