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L’angoisse du libraire, confronté à plus de 600 nouveautés à chaque rentrée littéraire, n’a d’égale que son impatience de lire les derniers nés des auteurs qu’il aime et surtout, de découvrir de nouvelles voix. Il est des romans que vous ouvrez sans savoir du tout à quoi vous attendre et qui, lorsque vous les refermez, vous hantent longtemps. C’est le cas de ce premier roman envoûtant, à la fois sombre et lumineux, d’une dénommée Marie Casanova.
Certains d’entre vous s’en souviennent peut-être. Avant de se lancer dans l’écriture romanesque, Marie Casanova a été auteur et interprète de chansons. Elle a aujourd’hui 70 ans et vit en Corse. Loin du monde, sans doute, comme l’héroïne de ce roman âpre et bouleversant.
De nos jours, la vieille Thérèse vit en recluse dans sa maison corse écrasée de soleil. On ne l’aime pas, la Thérèse, au village. Les enfants lui lancent des pierres en passant devant sa maison et la traitent de sorcière. Rejetée par tous, elle s’enferme dans sa solitude et n’a pour visiteurs que trois marginaux, auxquels elle ouvre sa porte chaque soir. Et chaque soir, auprès de l’âtre, dans la vieille maison où elle va finir ses jours, Thérèse se raconte à ses compagnons d’infortune. Elle convoque les fantômes de son passé et dévide le fil de ses souvenirs.
Elle raconte son enfance à Cayenne, où elle découvre l’amour et la fascination pour la mort au cours d’exécutions publiques. Elle raconte le retour à Nice, l’Italie de son père et surtout de son grand-père. Son héros, Maestro Francesco, qui lui a appris à faire le feu et lui a donné le goût de l’Italie. Ce pays cher à son cœur où elle aurait voulu rester, vivre et mourir. Là, dans cette Corse où elle va finir ses jours, Thérèse se souvient. Thérèse à la jambe amputée depuis l’adolescence, raconte l’étrange maladie qui la torture depuis l’enfance. Thérèse, pourtant si belle, qui traîne sa prothèse comme un boulet trop lourd à l’âge des premiers bals. Qui voudrait d’une boiteuse? Pourtant, l’amour se présente à elle, le grand, le vrai, celui auquel on veut croire toujours. Thérèse raconte son mariage, sa vie d’épouse et de mère de Juliette, la si jolie Juliette. La trahison, aussi. Elle raconte comment, quand elle croit avoir enfin trouvé la lumière, tout peut s’assombrir encore, et pour toujours…
Si vous êtes sensibles à « la belle langue », courez chez votre libraire vous procurer ce petit bijou, écrit par une grande dame. Car ce premier roman est un véritable diamant brut, malheureusement ignoré des média à la rentrée. Rares sont pourtant les auteurs qui possèdent une telle plume et parviennent à maintenir l’intensité et la qualité de leur texte de la première à la dernière page, sans jamais fléchir. Marie Casanova y parvient brillamment et nous emporte page après page, jour après jour, dans la vie d’une femme somme toute ordinaire, qui n’aspire qu’à trouver un peu de bonheur. Thérèse, si attachante dans ses forces et ses faiblesses, si vraie, si femme. Thérèse qui nous ressemble tant, dont les blessures, les chagrins et les aspirations sont les mêmes que les nôtres. La vie de l’héroïne nous est livrée en petites touches mais sans détour, sans tabou, et l’on reconstitue son histoire peu à peu comme l’on met en place les pièces d’un puzzle compliqué. Jusqu’à en découvrir l’issue, tragique et totalement imprévisible, surprenante, remarquable jusque dans son horreur... Les phrases de l’auteur résonnent comme une musique tour à tour douce, puissante ou bouleversante et l’on ne s’étonne pas que la dame ait été auteur de chansons. Servi par une prose somptueuse aux accents lyriques, traversée de fulgurances poétiques et métaphoriques, ce texte puissant et sensuel est un merveilleux hymne à la vie, à l’amour et à la mémoire. A travers le destin de Thérèse, c’est une vie semée de parfums et de couleurs, de rires et de larmes que nous conte l’auteur. Entre rêve et réalité, le meilleur et le pire, ce texte bouleversant est un éblouissement de chaque instant. Je vous salue, Marie, pleine de grâce.
Sandrine
libraire à Sauramps
Extrait :
La vie de Thérèse avec ses bonheurs attrapés au vol, avec ses secousses, ses accalmies, ses mensonges, ses manigances, ses intrigues, ses délires. La vie de Thérèse avec ses bouffées de volupté, ses perfidies, ses brillances, ses noirceurs, un vrai souk, une brocante sa vie, la beauté et la laideur imbriquées, embrouillées. Les remords enfouis, les espérances, les désespérances, l’alchimie des souvenirs qui voile et dévoile, qui décante et diffuse le passé.
Et l'odeur des narcisses de Marie Casanova - Éditions Galaade - 128 pages
Commentaires
lundi 1 mars 2010 à 13h51
C'est amusant , j'avais justement l'intention de me procurer Et l'odeur des narcisses suite à la lecture d'un billet sur le blog de François Renucci qui en cite un long extrait très incitatif. Et la lecture de votre critique m'a fait passer à l'acte ...
http://pourunelitteraturecorse.blog...
vendredi 26 mars 2010 à 15h15
c'est un très beau roman dont on reparlera souvent
vous avez su en restituer le parfum
merci
vendredi 2 avril 2010 à 16h17
Un roman qui se lit d'une traite. L'écriture nous emporte et on se laisse bercer par sa poésie. Un beau roman pour la sélection.
lundi 12 avril 2010 à 15h10
Enthousiasme partagé !
Et l'odeur des narcisses est un roman plein de vigueur et de démesure, un roman conquérant , incandescent et mené d'une main de maître, qui résonne comme un hymne au bonheur et à la « felicità ». Une prière qui rend grâce plus qu'elle n'implore. La vie comme victoire et comme liturgie!
Thérèse,l'héroïne, belle et boiteuse – on l'a amputée d'une jambe à 17 ans -, sainte et maudite, martyre et pécheresse, est submergée de désirs et de volonté. Toute « à l'écoute de ses sensations », elle avale goulûment les odeurs : c'est une femme « taureau » que l' « appétit de vivre» et le "goût de vaincre" font remonter vers la lumière ...
Dans son village corse qui la rejette et que lui a imposé le destin, l'héroïne vieillissante, « grande prêtresse éclopée » en sa « cour des miracles» raconte sa vie par bribes à un auditoire fasciné.
Et en « recyclant » ainsi ses souvenirs, en revivant une vie « pleine de goûts suaves, de risques, de folies, de douleurs, de chagrins », Thérèse respire encore l'odeur entêtante des narcisses qui « foisonnent » dans le petit cimetière du village, comme « un galop de promesses éparpillées » , et parvient à rallumer ce feu qui « favorise l'oubli », « incendie les remords » et « réchauffe l'âme » : le feu de la vie.
On ne s'abandonne pas à l'écriture de Marie Casanova. C'est une écriture exhubérante, imagée, sensuelle et colorée, un torrent qui vous emporte malgré vous. L'auteure est une "laboureuse" qui , à l'image de son héroïne, trace hardiment un « sillon droit » s'inscrivant fortement dans le double champ sémantique du guerrier et du sacré. Imaginant des situations et des personnages atypiques et hauts en couleurs que son talent de conteuse réussit à rendre crédibles , proches, elle abuse des symboles, des contrastes et des dédoublements pour notre plus grand plaisir.
Un roman puissant et surprenant.
(3 extraits sur mon blog,suite à ma critique, pour ceux que ça intéresse )
mercredi 12 mai 2010 à 10h04
Grâce à Biblioblog, j'ai découvert ce livre et j'aurais sûrement voté pour lui pour le prix Biblioblog 2010 (mais il me reste 3 livres à lire...). Je ne manquerais pas d'offrir ce merveilleux roman qui m'a touché profondément.
dimanche 16 mai 2010 à 14h02
Bravo pour cette magnifique critique, qui m'a fait me ruer sur ce roman... Somptueux! On sent la professionnelle derrière chacun de vos mots. J'espère que vous interviendrez souvent sur le site aux côtés de nos lecteurs chroniqueurs, c'est aussi très agréable d'avoir l'avis d'un vrai libraire.
lundi 31 mai 2010 à 10h01
J'ai lu le livre avec interet, j'ai apprécié la langue, les images, les couleurs, mais je n'ai ressenti aucune émotion. Un bel objet qui m'a laissée froide.
lundi 31 mai 2010 à 13h45
Je rejoins l'avis de Rose.Pour moi cela a été le livre le plus difficile à lire .Je l ai commencé 3 fois et l'ai terminé parce qu'il me fallait voter .Une superbe écriture ,une description de ces 3 "parias" du village époustouflante mais je suis restée à l'extérieur de ce texte.Dommage
mardi 1 juin 2010 à 14h34
Je suis du même avis que Rose etSylvaine:ce roman était classé bon dernier dans ma sélection personnelle,et même s'il contient parfois de belles descriptions,je n'ai été séduite ni par l'histoire ni par l'écriture un peu trop recherchée.ah, la "simplicité" de Modiano!