Ce Paris insolite est vraiment un livre à part. Présenté par les éditeurs de la toute jeune maison Attila comme un roman aléatoire, il propose au lecteur de s'embarquer pour une longue et étonnante déambulation dans le ventre de la capitale, sans oublier la zone qui l'entoure : les terrains vagues situés sur les anciennes fortifications et les toutes proches banlieues.

Paris insolite est tout d'abord une aventure humaine hors norme. En effet, tout est parti de la fugue d'un gamin de 16 ans. Après avoir fait plusieurs fois le mur de son pensionnat, le jeune Jean-Paul Clébert décide de ne plus revenir au petit matin. C'est la fugue. C'est même une grande fugue en déambulations et aventures en ut (presque vu son âge) majeur. Il va grandir en battant le pavé, en apprenant le système D. Il faut être doué pour la débrouille pour trouver de quoi manger au moins un repas plus ou moins chaud par jour ou pour se dénicher un coin pour dormir à l'abri des intempéries.

Jean-Paul Clébert a tout de même des atouts dans sa manche. Il est beau gosse, il plaît aux femmes – cela aide pas mal parfois - et surtout il sait écouter les histoires des autres cloches, des chiffonniers toujours en quête, des biffins, des ravaudeuses qui battent le pavé, et j'en passe. Au fil de ses lignes, l'auteur ne vous décrit pas seulement une ville, son urbanisme à tout crin (déjà), ses misères sans nom ou les bons moments, ses maisons ventrues qui tiennent on ne sait pas quel miracle. Il vous parle aussi de tous ces personnages qui vivent dans la rue, de la rue. Au fil de ses pérégrinations, quartiers par quartiers, on découvre les spécificités de telle ou telle rue, l'histoire de ce resto Au vieux chêne ou du fameux grenier des maléfices.

Je ne peux vous parler tout ce qu'il y a dans ce roman fait des bouts de notes prises par l'auteur, stockées dans sa besace. Des notes prises sur des bouts de papier, emballage de cigarettes, papier toilette.. bref, tout ce qui lui tombe sous la main et pouvant retenir ses mots, ses observations. Je vous laisse découvrir cette somme impressionnante tant par le sujet et le style. Certains pourraient se lasser de ces longues énumérations et le langage si particulier, si vivant, mais comme l'auteur, le lecteur est pris par tout ce qu'il y a à découvrir, à raconter. L'ensemble est extrêmement riche. J-P. Clébert déplore lui-même de ne pouvoir raconter tout ce qu'il a vu, entendu, vécu. Une sélection a dû être faite, celle de la mémoire. On suppose que ses petits papiers auraient pu donner matière à bien d'autres volumes.

Que dire aussi des photos de Patrice Molinard ? Rien à part les regarder, les admirer. Elles parlent d'elles-mêmes. Elles illustrent à merveille les propos du comparse Clébert. On se doute bien que ces deux là ont dû bien s'entendre et pas seulement qu'autour de quelques verres de beaujolais.

À la lecture de ce livre, il vous prend l'envie de monter dans vos chaussures et d'aller baguenauder dans les rues de la ville, cette ville pleine de mystères et en éternel changement. C'est déjà vrai à notre époque, alors imaginez ce que cela pouvait être dans les années 50 au sortir de la guerre.
C'est ce que note déjà l'auteur en préface de l'édition de 1954, soit deux ans à peine seulement après l'écriture de son roman. Que dirait-il s'il revenait de nos jours sur les lieux ? Pas certaine qu'il s'y retrouverait.

Tout l'ouvrage aurait pu servir pour choisir un extrait. Il est si difficile de se décider sur tel ou tel passage. Alors j'ai préféré vous donner à lire les propos de l'auteur pour la préface de l'édition de 1954. Cela vous donnera déjà une idée du bon homme.

L'insolite est partout. Dans la démarche des auteurs pour avoir donné naissance en mots et en photos à un tel ouvrage, mais aussi dans celle des éditeurs, des passionnés eux aussi. A les écouter, ils semblaient comme envoûtés par la personnalité hors du commun de Mr Clébert (*), Selon les premiers, comme les seconds, il suffit de regarder autrement ce qui nous entoure et de se laisser emporter.

Dédale


(*) Editeurs rencontrés le 27 novembre 2009 lors de la présentation de ce Paris insolite lors d'une soirée spéciale organisée par l'aimable Yves de la Librairie Les Buveurs d'encre

Extrait :

Les parcours et itinéraires que j'ai suivis la gueule verte et particulièrement obsédé par des images culinaires, je viens de les refaire avec un photographe. Cela m'a déçu. Des paysages que la faim et le froid plantaient dans ma mémoire et que j'avais appris à connaître non seulement des yeux mais des mains, des narines et des fesses, ont perdu maintenant quelque peu de leur poésie brutale.
L'optique change considérablement selon que l'on fasse partie vivante du paysage ou que l'on s'y promène en flâneur, c'est-à-dire le ventre creux ou plein. Les images qui suivent n'illustrent ainsi qu'un côté de ma vision personnelle de la ville.
Mais telles quelles, elles sont tout de même les plus proches témoignages de ce Paris insolite. Ce Molinard, que je ne connaissais pas, a l'œil. Entendez qu'il n'est pas besoin de le tirer par ma manque, et qu'il pige du premier coup la poétique des paysages citadins. Son objectif cerne automatiquement l'insolite d'une rue ou d'un personnage. Ses photographies sont justes. Et heureusement débarrassées de cette « atmosphère » qui baigne et noie généralement ce genre de photos. Ce sont des documents froids et lucides. Au lecteur d'en découvrir lui-même la poésie. Molinard en a banni le plus possible le caractère pittoresque, dont j'ai horreur, et qui exploite trop souvent la misère. Ses photos donnent à voir, selon les mots d'Eluard.
De là, la parfaite entente avec laquelle nous avons de nouveau arpenté Paris. Entente qui allait, je l'avoue, jusqu'au partage de bitures beaujolaises qu'on ne peut guère éviter en fréquentant les plus francs buveurs et parfaits ivrognes de la capitale. Mais la photo, plus que la boisson, modifie la vision qu'on a d'un quartier. Le champ d'un objectif limite la vue aux objets particuliers et détachés. On obtient alors une preuve d'authenticité que, malgré tout, la littérature a bien du mal à revendiquer.

Paris insolite
Paris insolite de Jean-Paul Clébert et Patrice Molinard - Editions Attila - 347 pages