Cotton Point donc, petite ville rurale où la vie se déroule comme elle peut. D'un côté les blancs avec leurs belles maisons et leurs certitudes, de l'autre les noirs vivant à la périphérie de la ville et qui tentent de s'en sortir au mieux.

Un jour, Paris Trout, commerçant incontournable ou presque pour les achats de habitants, décide de recouvrer une dette. Il est le seul à prêter de l'argent aux Noirs. Mais face à des débiteurs qui veulent tout de même faire valoir leurs droits, il sort son révolver, tire et blesse une partie de la famille McNutt. La jeune Rosie Sayers, âgée de 14 ans, adoptée par la maîtresse de maison et qui n'a connu que la maltraitance, succombera à ses blessures.

Cet homicide perpétré froidement va bouleverser la vie tranquille de Cotton Point. Pour Paris Trout, il ne s'agit là que d'une démarche commerciale parfaitement fondée.

Ce qu'on me doit, je le récupère. Et ... La loi, tout le monde sait que la loi varie selon qu'on est noir ou blanc.

Mais pour une bonne partie de la ville, sa femme Hannah et même son avocat Harry Seagraves, il s'agit là d'un homicide ignoble. Et comme l'affirmera le procureur durant le procès de Paris Trout : .. La loi ne considère pas le meurtre comme une méthode légitime de recouvrement. De plus, La loi ne précise rien au sujet de la condition sociale des victimes.

Pete Dexter va nous décrire un cas psychologique d'une violence inimaginable en la personne de Paris Trout. En 1954, le dépistage de tels cas n'est pas courant. On faisait avec. Comme les gens de la ville, les victimes et Harry Segraves doivent faire avec des juges que l'on peut payer et qui vous libère avant même que vous n'arriviez au pénitencier où vous devez purger votre peine pour homicide. Tout le monde sait qu'avec Paris Trout rien n'est normal.

Je ne suis coupable de rien. Je suis allé là-bas pour recouvrer une créance. Vous êtes au courant de mes activités, vous vivez dans cette ville. Je traite tout le monde de la même façon, exactement comme on fait à New York. Si quelqu'un a été tué, il s'est tué lui-même.

La victime est complice de son meurtrier, car elle s'est placée elle-même dans cette situation.

Cotton Point, une communauté qui évolue peu à peu mais qui connait aussi très bien ses concitoyens. Elle en connait les fragiles limites.

Difficile de ne pas être pris de nausée dès le début de cette histoire, dès que l'on découvre la personnalité des plus perturbées de Paris Trout. Et ce n'est pas sa femme, Hanna, victime de son mépris, de ses maltraitances qui dira le contraire.

Toute cette histoire est une critique à peine voilée d'une ville bien campée sur ses traditions et les avis des quelques notables qui font l'opinion et la justice. De plus, le roman est structuré par chapitre donnant le point vue depuis les personnages clés de l'histoire : Rosie la victime, Hanna, la femme de Trout, Harry Seagraves l'avocat de Trout et Carl Bonner l'avocat représentant Hanna pour sa demande de divorce. Le tout est soutenu par un style des plus simples. Des faits, rien que des faits mais toutes les subtilités psychologiques sont présentées. C'est très intelligemment rendu. Le résultat en est effrayant, étouffant. On n'a qu'une envie devant tout ce gâchis sans nom, c'est de quitter la ville.

Une édifiante histoire à lire résolument.

Dédale

Extrait :

Il prit une chaise dans un coin et l'approcha de la table. Il n'avait aucune envie d'être là, entre ces quatre murs, avec l'acte commis par Paris Trout. Il aurait désiré faire les choses avec calme, et lire la déposition qu'aurait prise un de ses associés, mais quelque chose chez Trout l'amenait plus loin qu'il ne l'aurait voulu.
Trout était immobile, le visage changé mais souriant toujours.
- Que voulez-vous savoir ? Dit-il.
- Tout ce que vous avez fait dans la maison de cette petite.
Trout se frotta les oreilles et lissa ses cheveux en arrière.
- La famille, dit-il, me devait de l'argent. C'était légal.
Segraves changea de tactique, n'essaya plus de le guider.
Il voulait voir où irait, de lui-même, le récit de Paris Trout.
- Huit cents dollars, je lui ai vendu huit cents dollars cette Chevrolet, et je lui ai dit que Paris Trout se fait toujours payer. Huit cents dollars pour la voiture et deux cent ving-sept pour l'assurance. Je leur dis toujours ça, que moi, coûte que coût, on me paie ce qu'on me doit. Demandez à tous les Noirs de Cotton Point, ils vous diront la même chose.
Seagraves regardait Trout fixement, attendant la suite.
- J'ai averti ce gars quand il m'a apporté la voiture. Il l'a bousillée, et il voulait que j'efface la note. (Trout secoua la tête.) Je ne remets pas les dettes. Je remplis mes engagements et j'attends le même chose en retour.
Seagraves, immobile sur sa chaise, attendait.
- Donc je suis allé là-bas, à Indian Heights, où habite sa famille, pour me faire payer.
Seagraves l'arrêta net.
- Vous pensiez qu'ils gardaient huit cents dollars dans une boite à biscuits ?
- Je n'ai jamais dit ça. Je suis allé là-bas pour qu'ils me signent un papier, pour pouvoir faire une saisie sur salaire. C'est tout ce que je voulais, faire signer ce papier.


Cotton Point de Pete Dexter - Éditions Denoël - 359 pages